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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
5 janvier 2008

Carmin Profond (Profundo carmesí) d'Arturo Ripstein - 1995

Parfois, on met un DVD dans le lecteur parce qu'on a vaguement entendu parler du cinéaste, ou parce qu'on n'a rien de mieux à faire... et on tombe sur un chef-d'oeuvre. Eh bien, c'est le cas avec Profundo carmesí, qui m'est arrivé dessus par surprise, et restera sûrement bien longtemps dans mon oeil. Tout est parfait de maîtrise là-dedans, de la musique au scénario, des acteurs à la mise en scène, des décors aux rythmes. Ripstein a fait un des films les plus audacieux qu'il m'ait été donné de voir, je le dis tout net, et j'ai même souvent bondi dans mon canapé devant les risques formels et narratifs de ce film improbable.

062_profundo_carmesiRipstein décide de parler de l'amour fou, celui qui naît entre deux abandonnés de la société, deux solitaires tristes qui vont aller jusqu'au bout du bout de leur amour. Lui est un vieux beau dégarni, croyant dissimuler son élégance perdue sous des perruques douteuses, et qui assassine des veuves pour leur piquer leur argent ; elle est une grosse mamma assoiffée d'amour. Ils vont s'unir dans le crime, et sillonner le Mexique en tout sens pour déclafter des femmes. Mais on est très loin du romantisme à la Bonnie and Clyde là-dedans : le dispositif mis en place par la mise en scène est absolument implacable, et les images, d'une drôlerie presque kaurismakienne dans la première moitié, deviennent insoutenables dans la seconde, un peu comme si Haneke était passé par là pour donner son avis. Ripstein va de plus en plus loin dans les actes de ses personnages, dans leur volonté surpuissante de "rester ensemble", de s'aimer envers et contre toute moralité. Les premières décisions de la femme sont plutôt drôles, malgré la folie qui les sous-tend (elle abandonne ses propres enfants pour suivre l'homme qu'elle aime, elle se coupe les cheveux pour lui fabriquer une nouvelle perruque, elle assassine elle-même les riches veuves) ; mais le film dévie lentement et sûrement vers la folie pure, et toute la fin est proprement terrassante.

Il faut dire aussi que la réalisation de Ripstein épouse parfaitement ce mouvement vers la folie : composé en grande partie de plans-séquences qui deviennent de plus en plus courts, Profundo carmesí commence Sans_titrecomme un marathon et se termine en course folle, à bout de souffle. Les longs plans d'ensemble (aucun plan n'est plus gros qu'un plan américain, à quelques exceptions près), les mouvements sinueux de la caméra, le filmage dans la durée des actions et non-actions, la façon de placer les acteurs dans le cadre, tout contribue à entraîner le film (et nous avec) dans une spirale sans échappatoire, et à nous pousser dans ce rythme imparable. C'est d'une grande subtilité, et malgré l'apparente artificialité du procédé, jamais on n'a l'impression que Ripstein joue au malin avec nous. Il filme presque "honnêtement", sans affect particulier, sans jugement, et on sent que ce choix formel est guidé par une nécessité absolue. Et pourtant, le film dégage une émotion incroyable, grâce à ces temps suspendus entre lumière et musique, où la caméra cadre ces personnages au sein d'une nature magnifique, les montrant en train d'enterrer un cadavre dans un désert aveuglant, ou écartant le décor pour montrer la poussière et la misère du Mexique.

Les acteurs sont proprement faramineux, attachants à mort malgré leurs comportements en-dehors de toute morale, trouvant toujours l'exacte frontière entre ridicule et tragique, entre intimité et clownerie. Hyper-réaliste en même temps que d'une sombre poésie, ce film est absolument prodigieux.

Commentaires
J
Ca a beau être le remake de l'excellent "the honeymoon killers" de Leonard Kastle (1970, je crois), cette version couleur et néanmoins mexicaine de Arturo Ripstein n'en n'est pas moins très bonne pour autant. Je me demande s'il n'y a pas eu encore une autre adaptation cinéma de ce qui n'est qu'un fait divers criminel au départ. Mais si ce n'est la couleur et les paysages, je ne sais s'il y autant de différence entre le Kastle et le Ripstein qui arrivent tous deux à mettre en scène et rendre l'hystérie raisonnée de leur couple d'assassins.
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