Peter von Kant de François Ozon - 2022
Depuis qu'il a décidé de devenir un cinéaste sérieux (c'est-à-dire depuis 2010 et Le Refuge), on avait renoncé à voir en François Ozon le créateur de nos fantasmes les plus torves, comme il a pu le faire dans ses meilleurs moments (avec Gouttes d'eau sur Pierres brûlantes, 8 Femmes ou Angel). Le voir aujourd’hui de retour dans cette veine-là tient de l'inattendu, et le voir revenir avec un film aussi réussi du miracle. Il faut croie que Fassbinder lui va bien au teint, puisqu'il adapte à nouveau le bougre, en l'occurrence une de ses plus belles pièces, en l'adaptant avec beaucoup d'intelligence à son propre univers, et en le reconnectant en quelque sorte avec la vie du cinéaste allemand. Ce faisant, il renoue avec quelque chose d'à la fois enfantin et sulfureux de son cinéma : Peter von Kant est un jeu avec le genre du mélodrame, un manifeste sexuel, un coming-out de sentimentalité, en même temps qu'un film bouleversant, drôle et subtil. Pas moins. On croyait mort et enterré ce cinéaste qui nous avait tant emballé à ses débuts, celui qui savait jouer avec finesse de la kitcherie, des clichés, de l'artificialité du théâtre, de la ringardise de ses motifs, pour aller y dénicher quelque chose de profondément émouvant. C'est le cas ici, avec une maestria retrouvée. Ozon n'est pas mort.
Première intelligence : redonner à Petra von Kant une identité masculine, faire le pont avec cet autoportrait caché de Fassbinder lui-même. Peter est donc un cinéaste gâté, vivant dans une maison envahie par ses souvenirs avec un "mignon" qui lui sert à la fois de valet et de souffre-douleur. Quand il rencontre le jeune Amir, son destin change : l'envoûtement est immédiat. Il va en faire sa muse, le porter à la célébrité. Mais le garçon, égoïste et cruel, va en faire voir de toutes les couleurs à notre Peter, qui voudrait bien être le Pygmalion de ce jeune éphèbe , en faire sa créature. De crises de jalousie en tortures, le couple se déchire, et Peter sombre dans le désespoir. Le tout sous les yeux de la meilleure amie (Adjani, délicieusement légère), de sa fille (Aminthe Audiard, sosie de Marie Trintignant) et de sa mère (Schygulla, en caution fassbinderienne). C'est l'effondrement d'une passion qui s'est transformée en possession, dans un jeu dont on ne sait plus trop en fin de compte qui possède l'autre. D'un texte vieillissant, Ozon extirpe une foule de motifs contemporains, se moquant avec tendresse de son personnage principal, campé par un Denis Ménochet spectaculairement génial, grossier, colérique, insupportable et en même temps d'une tendresse brute. Il faut voir le bougre danser maladroitement sur un morceau de Cora Vaucaire (Ozon et la chanson...) ou s'enfiler des pleins verres de gin pour comprendre à quel point peut être ridicule le désespoir amoureux. Masse de chair d'une grâce qui peut s'avérer hyper délicate, Ménochet semble avoir tout compris du texte de la pièce, ce mélange de moquerie et de sincérité qu'elle contient.
Deuxième point fort : l'adaptation de la pièce, qui lui redonne toute son artificialité tout en restant profondément sentimentale. Malgré le côté très distancée du procédé d'Ozon, jamais on ne perd l’authenticité des sentiments. Le jeu d'Adjani en est un bon exemple : c'est faux, too much, et pourtant touchant en diable. Ozon, dans les décors (magnifique appartement qui est la projection des fantasmes du personnage), les accessoires, les costumes, la lumière et même ces plans discrets sur l'extérieur, assume une théâtralité et un symbolisme qui pourraient transformer le film en objet. Mais, et c'est tout le talent du bougre, sa sincérité et son véritable amour pour cet univers donnent à cette histoire démodée et kitsch une authenticité très touchante. On est souvent pris par l'émotion qui se dégage du film, et tout étonné de pouvoir être pris dans cette émotion. Une grande réussite comme on n'en espérait plus de la part d'Ozon.