Placé chronologiquement entre son meilleur film (La Maison des Bois) et son meilleur film (Passe ton bac d'abord), La Gueule ouverte est le meilleur film de Maurice Pialat. Il y est question tout du long des deux thèmes qui ont fait la gloire du gars: la mort et le langage, un peu comme si Beckett faisait des films hyper-réalistes. Tous les plans sont délétères, affreux (le décorateur de ce film est un grand malade), hantés par la mort, rongés par la perte, la fin d'un monde. On ne dira jamais assez l'importance de mai 68 sur les films de Pialat, d'ailleurs. Ici, tout est tourné vers la fin : la mort de la mère, sujet du film; la fin d'un amour; la fin d'une certaine France (le fin fond du Puy-de-Dôme est l'endroit idéal pour ça, on est d'accord) et d'une certaine morale (honnêteté, droiture amoureuse, etc.). La gueule ouverte du titre, c'est le non-dit (Hubert Deschamp, magistral et bouleversant, oui le même que dans Les Sous-doués), c'est le trop-dit (Nathalie Baye, qui a de petits seins mais une grande gueule), c'est le "impossible à dire" (le langage qui s'efface chez la mère mourante). C'est la gueule ouverte pour gueuler, et pour manger, et pour boire du rouge et pour draguer.
Alors il est vrai qu'à cette époque, Pialat était plus à l'aise avec les acteurs amateurs : Baye est un chouille trop comédienne, ça se voit dans les scènes d'impro, Léotard est un peu perdu dans le monde de Pialat, et à l'inverse les seconds rôles sont d'une justesse incroyable (il y a un dialogue sur les pétunias à la fin, je vous raconte pas). C'est le seul défaut que je vois au film. A part ça, la justesse du montage (Pialat ne coupe que sous la menace, tirant les plans jusqu'à l'insupportable), les mouvements subtils et toujours sensibles de la caméra, et surtout l'amertume coléreuse qui fait qu'on reconnait le père Maurice à 3 km, font de ce film (et surtout de sa dernière demie-heure) un moment inoubliable. Qui n'a rien à envier à ses meilleurs films (A nos Amours, Police, Loulou, Nous ne vieillirons pas ensemble, L'enfance nue, Van Gogh, Sous le soleil de Satan et Le Garçu)