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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
2 mars 2024

Crossing the Line de Daniel Gordon – 2006

Un documentaire assez édifiant et passionnant qui suit les traces de James Dresnok, brave soldat anonyme pris dans la guerre de Corée au début des années 60. Foncièrement anti-communiste et patriote, il ne laissait en rien attendre la brusque décision qui l'a pris un beau jour : quitter l'armée américaine, passer la frontière et gagner la Corée du Nord, devenant ainsi un des très rares étrangers (et a fortiori issu d'un pays hostile au régime) accueillis par la dictature. Le réalisateur retrouve aujourd'hui notre homme, tout à fait intégré à la vie nord-coréenne, affichant un bonheur complet de s'être marié, avoir fait des enfants et avoir vécu dans cette contrée qui allait à l'encontre de toutes ses valeurs. Qu'est-ce qui lui a pris alors ? Et quel est exactement son niveau de sincérité quand il surjoue un tantinet sa satisfaction d'avoir fait sa vie de ce côté-là de la politique ? A travers ce personnage ambigu, c'est toute une petite histoire de l'endoctrinement et de la propagande en Corée du Nord que nous propose Gordon. Le gouvernement s'est en effet emparé de Dresnok et de la poignée de camarades qui ont eux aussi fait la traversée, en ont fait des modèles pour prouver l'hospitalité du pays, les ont même transformés en acteurs de cinéma pour les films de propagande, faisant d'eux presque des stars. Si Dresnok est resté fidèle à sa décision, les autres Américains ayant fait l'expérience ont choisi, eux, de quitter le pays pour retrouver la démocratie, s'attirant ainsi les foudres de notre héros. Et on ne cesse de se poser la question de savoir si sa rancune envers eux vient de la jalousie de n'avoir pas su faire comme eux ou si sa colère est sincère.

Le réalisateur fixe assez perplexe ce visage opaque et satisfait, crânant plus ou moins devant le scandale qu'a représenté sa décision ; et montre aussi les images ambiguës de ces hommes affichant un semblant de bonheur, alors qu'on les sait empêchés de s'exprimer, jouets d'enjeux politiques qui les dépassent. Le film questionne la fidélité à ses décisions, le poids de ses valeurs morales et politiques face à la promesse de la richesse ou d'un supposé bonheur, l'entêtement d'un homme qui refuse d'admettre qu'il a eu tort mais qui voit le monde passer à côté de lui. Vastes questionnements abordés sur un ton un peu élégiaque : on est tristes pour Dresnok en même temps qu'on lui reproche sa vie, sa jalousie, sa fierté. Crossing the Line est aussi très intéressant parce qu'il retrace de la guerre de Corée, cette frontière flottante qui pouvait changer en une nuit, cette guerre des images que les deux camps se livrent grâce à ces transfuges américains. D'une grande honnêteté, le film ne juge pas, ne nous dit pas ce qui et bien ou mal, enregistre les propos lénifiants de Dresnok qui aime son pays et montrent aussi les ravages de la dictature de Kim Jong-il, se gardant bien de dire qui a tort et qui a raison. C'est simplement dans la subtilité d'une expression de visage, dans un mot un peu amer, dans une satisfaction un peu trop affichée, qu'on devine les prémices d'une vie ratée, mal assumée. Un beau film fin et juste sur la Corée du Nord, c'est assez rare pour mériter le détour.

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