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21 janvier 2024

La Zone d'Intérêt (The Zone of Interest) de Jonathan Glazer - 2024

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Rudolf Höss n'était pas un bon garçon, si on en croit ce long-métrage glaçant de Jonathan Glazer (le cinéaste qui a dû déclencher le plus de commentaires sur ce blog avec son film précédent). Peut-être que le fait qu'il ait dirigé d'une poigne de fer le camp d'Auschwitz n'est pas étranger à cette réputation de monstre froid. Glazer le filme ici en plein exercice de son funeste métier : décimer le plus possible de ses contemporains sémites avec le plus d’efficacité possible. La grandeur du film, c'est de ne jamais montrer les horreurs commises par Höss : elles ne sont que suggérées, par les sons qu'on entend (cris, fusillades), par quelques motifs (sont-ce bien des prisonniers qu'on voit défiler à travers les arbres ? et ce train en arrière-plan, n'évoque-t-il rien ?). A la place, on aura droit à une minutieuse description du quotidien de notre homme et de sa petite famille, tranquillement installés dans une villa de luxe à quelques mètres du camp. Madame se baigne dans son bassin et prend le soleil, se plaignant de sa domestique ; les enfants entretiennent en ricanant des névroses de malades et se torturent allègrement l'un l'autre ; la mère fait tout pour trouver des compliments à faire à son fils ; et monsieur gère tout ça en bon père de famille, passionné par son cheval et par le cursus professionnel qu'il met en place. Oui, les pires bourreaux sont des êtres humains, oui, il est possible d'avoir une vie tranquillou en côtoyant le pire. Mais le film, par quelques signes discrets, nous suggère que ça ne va pas sans certaines conséquences.

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Le dispositif est implacable : Glazer filme tout ça objectivement, avec tout un système de caméras installées dans le décor, ce qui lui permet non seulement de s'absenter, ainsi que les techniciens, de plateau et de laisser les comédiens seuls dans la pièce filmée ; mais aussi de développer une atmosphère de caméras de surveillance, renforcé par un montage extraordinairement carré. Les mouvements des personnages se font de façon très structurée, très découpée, et en même temps avec une impression de continuité totale. Le résultat est dingue : on a l'impression de suivre de loin les faits et gestes de cette famille et d'en attraper chaque seconde. Quand la surface se fend, quand pointe le malaise dans le quotidien lisse de la famille Höss, l'impression est encore plus forte : la mère qui disparait subitement, un gosse qui vrille, un morceau humain trouvé dans la rivière, notre homme saisi de vomissements, autant de petites vrilles qui sont puissamment exprimées par ce dispositif mathématique.

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C'est vrai que le scénario stagne un peu, qu'une fois le principe compris (au bout de 5 minutes), le film a du mal à dire autre chose que ça. Mais le scénario est peu important : ce qui prime c'est cette infernale mise en scène qui enferme les personnages, à l'instar de cette longue séquence ou Höss ferme une à une les portes de sa maison pour s'enfermer en son sein. Malgré une utilisation un peu chiante, surtout au début, de ces plans à la "fisheye" que j'ai toujours trouvés très artificiels, on reste baba devant cet objet formel, épuré comme un diamant. Les sons anxiogènes, auxquels il faut ajouter cette musique affreuse, ainsi que les petites "coquetteries" de style (dont un ou deux décrochages en négatif), sont les bienvenus pour apporter la signature de Glazer dans un film qui aurait été  trop objectif sans eux. Et ce champ-contre-champ final, dont je vous tairai la teneur, je ne suis pas sadique, ajoute encore à l'admiration qu'on ne peut que vouer à La Zone d'intérêt. Glazer est définitivement un des plus grands. (Gols 18/01/24)

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ZonaInteresse

Je suis bien d'accord (ouh là, ça sent l'arnaque...) avec l'ami Gols sur ce film, notamment (et c'est là sûrement le problème...) sur ses réserves (concernant le scénario et le fait que, une fois qu'on a compris le concept et le dispositif formel de la chose, on s'ennuie). Le problème de ce genre de film glaçant, indéniablement intellectuel et murement réfléchi, c'est qu'il donne plus à voir l’œuvre d'un plasticien que d'un cinéaste... On peut reprocher, j'en ai bien conscience, le côté un tantinet boursouflé et grotesque des œuvres d'Östlund ou Lanthimos, le petit aspect ultra calorifique de leur œuvre qui déborde un peu du pantalon, mais on a au moins des œuvres pleines de vie et de surprises. Dans ce cinéma-là, celui de Glazer, très beau par ses couleurs vintage et son sens du contraste, très minutieux par ce dispositif astucieux des caméras, très soigné par cette utilisation du son (le "contre-champ" sonore est redoutable et se substitue sans problème à l'absence de "champ" sur les horreurs des camps) et de la musique, dans ce cinéma-là, disais-je, las on l'est vite tant l'on a tôt fait d'en comprendre le principe, la substantifique moelle : la bête immonde qu'est ce directeur de camp prend des allures d'humain lambda posant à l'ingénieur discipliné et efficace (même lorsqu'il se trouve avec ses pairs, il ne peut s'empêcher de penser au volume de gaz qu'il faudrait pour les exterminer tous dans cette pièce à haut-plafond : l'exécuteur sans âme a effacé toute once d'humanité chez cet être froid), sa femme n'est qu'une femme au foyer moyenne absolument "remarquable" (par sa rigueur) uniquement soucieuse de ses ouailles et de son confort (sa propre mère, heureusement, sert de contre-point, au final, à cette autre exécutrice sans une once de compassion), les gamins, hébétés, ne sont là que pour reproduire les schémas parentaux (l'ainé qui prend plaisir connement à dominer et enfermer son petit frère), ce chien, seul "personnage" indépendant et libre (?) qui ne cesse de s'insérer dans chaque plan...

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On observe ce dispositif impressionnant, millimétré, ce discours sans bavure (il y avait un silence de cathédrale dans cette salle... une avant-première avec pourtant un peu de monde mais putain, dès qu'on parle de camps, plus personne n'ose moufter... même les vieux pour une fois, gloire à Dieu, ne toussotent pas...), on prend même un certain plaisir (pervers ?) avec cette entrée en matière magnifique (ce noir qui dure... sûrement le moment le plus évocateur pour moi... vous allez me dire que je cherche les ennuis, oui, mais à peine), avec ces passages de nuit (en négatif, forcément) où la petite distributrice de pommes apporte un vent d'humanisme et d'espoir dans ce récit mécanique et morbide, avec ce long travelling (pouh là là, ça recommence, on va ressortir notre petit Godard illustré de l'époque des Cahiers... allons, chut ! Un clin d’œil ironique de Glazer ? on est en droit de se poser la question) sur les extérieurs de ce camp, ce jardin fleuri et taillé à la perfection ou encore, avec cette soudaine captation finale vomitive comme si notre homme ne pouvait finir que par se vomir lui-même... on n'est donc pas tout à fait à l'encontre de ce travail cinématographique éminemment sérieux et pensé de Glazer. C'est juste un cinéma, pardon, un concept, qui peine à nous émoustiller sur la longueur, à nous faire vibrer... Voilà, j'ai défini ma propre zone d'intérêt, un brin limitée, oui - tout est dit. (Shang 21/01/24)

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Commentaires
S
Je ne connais pas ce film. Je vais essayer de trouver ça. Merci.
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S
Je vois plutôt ces mots de Godard comme une injonction à lui-même. Je ne suis pas sûr qu'il éreinte ici ce qui a été fait (ou sera fait). Il défend seulement son point de vue en terme de puissance. Il décrit le film de fiction qui serait selon lui le plus saisissant (je doute qu'il cible "Shoah" ou "Nuit et brouillard", qui sont des docus). <br /> <br /> Un certain nombre d'œuvres (et souvent de très bonnes) - je prends cet exemple - ont traité, avant ou après lui, ce même thème abordé dans "Le Septième continent" ; mais presque toujours s'appuyant sur l'émotionnel, le pathos. Haneke lui a choisi le "déshumanisé", la résection de l’émotion, opté pour cet exposé clinique d'une immolation séditieuse ; et c'est cette émotion abolie qui infuse tout le film et en fait naître une chez le spectateur. Et une si puissante et si âcre que son film est d’entre tous le plus terrifiant. Son dispositif est (comme dirait Franzie) cette "hache qui brise la mer gelée en nous". Alors je vais prendre le risque de dire une connerie : je crois que Godard a peut-être raison. Les avis pourront toujours changer quand ce film sera fait (s’il se fait, mais on sera probablement tous morts avant... Et moi j’aurai tort tout ce temps-là.)
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S
Oui, il y a des chances qu'il ait raison. Et ça me fait penser à ce livre de Heimrad Bäcker : https://heros-limite.com/livres/transcription/<br /> <br /> Mais c'est à quelle occasion qu'il a dit ça ? Entretien ? Livre ?
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C
Godard : "Le seul vrai film à faire sur les camps, ce serait de filmer un camp du point de vues des tortionnaires, avec leurs problèmes quotidiens. Comment faire entrer un corps humain de deux mètres dans un cercueil de cinquante centimètres.? Comment évacuer dix tonnes de bras et de jambes dans un wagon de trois tonnes ? Comment brûler cent femmes avec de l'essence pour dix ? Il faudrait montrer aussi les dactylos inventoriant tout sur leurs machines à écrire. Ce qui serait insupportable ne serait pas l'horreur qui se dégagerait de telles scènes mais bien au contraire leur aspect parfaitement normal et humain."<br /> <br /> 60 ans après, pas sûr que ce film y soit parvenu.
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