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Shangols
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23 janvier 2024

Pauvres Créatures (Poor Things) (2024) de Yorgos Lanthimos

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Il est assez étonnant de voir que le fameux "triangle des Bermudes" des critiques, comme aimait à les nommer le regretté Ciment, voit d'un assez mauvais œil la bouffonnerie ou le côté joyeusement baroque et excessif d'un Lanthimos ou d'un Östlund (ce dont, au contraire, se repaissent d'ailleurs les festivals, lesdits nommés raflant récemment palme et lion). Comme s'il valait mieux pour un auteur rester dans son petit pré carré, ne pas jouer avec le côté border line, faire preuve d'une constante humilité, d'un certain petit-bras-tisme. Certes Lanthimos n'y va pas avec le "dos de la cuillère" (expression qui peut d'ailleurs renvoyer au fameux effet fish-eye qu'affectionne Yorgos, rendant ainsi l'image toute torve) au niveau du soin apporté à l'esthétisme en général et à ses décors en particulier (chaque ville, de Lisbonne à Paris, a son propre petit cachet très particulier) ; mais tout cet apparat, tout ce décorum permettent de nous faire rentrer tout ébaubi dans un univers à la fois totalement fantasmagorique et d'un réalisme bluffant - où tout est à la fois reconnaissable, vintage, daté mais semble aussi sensiblement décalé, étrange... A l'image de ces animaux bizarres qui traversent l'écran (ma préférence au porc-poule) mais surtout de ces personnages principaux, qui, derrière un aspect un peu frustes, vont se révéler forcément plus complexes, pour ne pas dire totalement imprévisibles.

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Il y a, oui, ce personnage monstrueux incarné par Dafoe (chirurgien frankensteinien qui n'est pas si tyran et inhumain qu'il en a l'air), ce dragueur invétéré interprété par Ruffalo (en Duncan Wedderburn sévèrement burné) qui va finir par trouver son maître comme disait ma grand-mère (ou plutôt d'ailleurs, ici, sa "maîtresse") ou encore ce naïf assistant (Ramy Youssef) loin d'être le plus mièvre de la bande... Mais of course il y a surtout cette incroyable Bella Baxter (Emma Stone, un Oscar sur un plateau), cette femme-enfant (littéralement), cette Barbie malgré elle (avec un cerveau d'enfant... mais un cerveau en perpétuelle évolution) qui va dynamiter ici la trame et tous les personnages collatéraux... Ce n'était qu'un légume, qu'une poupée de cire et de son, elle va peu à peu s'émanciper, sortir de sa cage, mener sa quête, se perdre, se trouver et montrer aux hommes de quel bois elle se chauffe... De recluse, de dominée, elle va chercher à aller vers l'inconnu et progressivement prendre les rênes de sa destinée. Elle passe des plaisirs de base, des instincts primaires (manger, se repérer) à des considérations plus évoluées (lire, expérimenter les tréfonds de l'âme humaine, découvrir le pouvoir de son corps), l'essentiel de ces expérimentations se passant dans un délire visuel absolu et avec une pointe d'humour constante.

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Comme chez Östlund, on retrouve ce même goût pour prendre de haut ces bourgeois, pour flirter constamment avec la causticité, pour jongler avec l'intellectualisme (prétendu et véritable), pour traiter les bassesses du mâle au karcher. Certes, Lanthimos semble prendre une sorte de malin plaisir avec ce personnage de féministe jusqu'au-boutiste qui, après avoir connu le pire du patriarcat, va prendre une revanche cinglante (c'est dans l'air du temps, c'est assez opportun, hein) mais cette capacité à ne jamais se prendre tout à fait au sérieux fait justement aisément oublier certaines petites facilités opportunes. Cette pauvre créature originelle, originale, va, livrée à elle-même, décaper son entourage, jouant à son tour avec ces pauvres petites créatures mâles guère plus évolués qu'elle, se jouant d'elles... C'est un véritable jeu de massacre auquel se livre Lanthimos dans cet univers torve, tordu, tordant. De l'excès, de l'outrage, de la provocation, bordel, on ne va pas s'en plaindre dans ce monde qui semble se lisser, se policer, se chiantiser un peu plus chaque jour. Une œuvre casse-gueule qui retombe après plusieurs triple-salto visuels délicieusement sur ces pieds (de poule). Yo yo yo Yorgos !  (Shang - 18/01/24)

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Bien emballé, moi aussi, par cet objet baroque, excessif et formaliste. Je comprends bien ce qui peut agacer les tenants d'un cinéma plus sobre, plus réfléchi, moins sauvage ; mais fabriquer un univers aussi cohérent et aussi imaginatif n'est pas donné à tout le monde, et sortir de temps en temps d'une salle de cinéma avec des images dans la tête et l'impression d'avoir croisé un vrai style, ça peut faire du bien aussi. Relâchons donc d'un cran notre ceinture d'austérité, et admirons comme il se doit cette vision, certes mégalo, mais très pertinente. Passons aussi, puisqu'on y est, sur l'utilisation bien vilaine de cette fameuse caméra fisheye, qui semble être à la mode en ce moment (cf Glazer qui s'est aussi acheté ce joujou) : quand Lanthimos l'utilise, ça vous fait sortir complètement du film, ça vous rappelle que vous êtes au cinéma : volonté sûrement recherchée, mais qui empêche ici de rentrer complètement dans cette imagerie assez prodigieuse créée par le maître. Tout comme l'utilisation du noir et blanc puis de la couleur (et quelle !), inutile à mon avis, sauf à vouloir à tout prix ancrer le film dans la tradition de l'épouvante gothique à la Frankenstein, ce qui n'avait pas besoin d'être souligné.

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Attardons-nous plutôt, je vous prie, sur les autres aspects, notamment l'imagerie à la Jules Verne, qui permet de brouiller les pistes de la temporalité du film : à la fois désuet et moderne, ancré dans la civilisation du progrès et tourné vers les atavismes de la société, il est difficilement datable. Les inspirations de Lanthimos allant chercher à la fois chez Bosch (le formidable plan sur l'enfer entrevu deux secondes par Bella) et chez Terry Gilliam ou Tim Burton, à la fois chez les primitivistes (la candeur de la représentation des villes, Lisbonne notamment) et chez Mary Shelley, on se trouve plongé dans un bouillon de culture qui "malmène" l’œil : parfois ravi parfois choqué par ce qu'il voit, il est bien mis à contribution, chose qui se fait rare dans le cinéma depuis la mort des grands formalistes. En tout cas, au niveau formel, Lanthimos dirige son film d'une main de fer, rien n'étant laissé au hasard, ni les costumes, somptueux, ni la musique, effarante, ni même les titres de chapitre, qui proposent à chaque fois des tableaux rococo impressionnants. Il réussit quelques scènes fabuleuses (la danse échevelée et anticonformiste, la crudité du langage et des séquences au bordel) grâce à cet attrait de la démesure et de la forme pure.

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Dans cet écrin tout de mauvais goût assumé et de clinquant, Lanthimos raconte tout simplement l'histoire de l’émancipation d'une femme, à travers la narration d'une vie complète. Emma, femme au cerveau de bébé, passe des balbutiements, maladresses et absences de filtre de l'enfance à la pleine connaissance de soi, en passant par tous les stades de l'existence (adolescence folle, découverte de la sexualité, premières amours, stabilité). Mais elle va aussi éprouver la difficulté d'être une femme : les hommes posent sur elle (sauf son "père" et son promis) un regard de concupiscence, à commencer par ce Duncan Wedderburn, convaincu de son dandysme et qui va se retrouver chien implorant et veule. Apprendre que son corps lui appartient, qu'elle a quelque chose entre les oreilles autant qu'entre les cuisses, qu'on peut se politiser et rester une femme libre, que la lecture peut être une activité féminine, qu'on n’appartient pas aux hommes, que la jouissance est synonyme de vie : voilà ce que va devoir éprouver Bella à travers son voyage d'émancipation à travers l'Europe en pleine mutation elle aussi. Il faudra qu'elle en passe par tous ces obstacles pour pouvoir enfin retrouver l'homme qui l'aime sincèrement et la plénitude. Le spectateur est sans cesse bousculé, non seulement par la forme, mais aussi par les comportements de cette fille éminemment moderne : paillard et érotique, vulgaire et exaltant, le film vous malmène pas mal, y compris en assumant de vous ennuyer un peu dans la toute dernière partie. Ce qu'on appelle un film-monde, forcément clivant comme tous les grands films.  (Gols - 23/01/24)

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Commentaires
B
J'ai horreuuurrr d'Emma Stone.
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C
Comme ça, entr'aperçu depuis le lointain fish-eye de ma rétine perso... m'a l'air surtout terriblement toc.
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