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18 novembre 2023

LIVRE : L'Éternel Mari (Вечный муж) de Fiodor Dostoïevski - 1870

bca0f18664a58c4e81f862f04adde1122b678ed98a4fd449c927c28a203ad3baLes vacances sont toujours l'occasion de lire de "vrais" livres, c'est-à-dire ceux parus avant 1950 (comment ça, je suis réac ?). Un petit tour donc du côté de Fiodor avec ce roman moins balisé que ses autres gros trucs, et que je n'avais pas lu depuis ma prime adolescence. On comprend un peu qu'il soit moins connu que les autres : il est moins bon. Il n'y a pas ce souffle incroyable de marathonien qu'on trouve dans L'Idiot ou Crime et Châtiment. Peut-être parce qu'il est plus court, peut-être à cause de sa construction un peu fluctuante. Nonobstant, on est tout de même là, bien entendu, face à un pur chef-d’œuvre de finesse et de compréhension humaine, vous devez bien vous en douter. Dosto y invente même un de ses personnages les plus complexes, les plus passionnants, les plus troublants : Pavel Pavlovitch Troussotzky, éternel mari donc, mais surtout éternel cocu qui trouve dans l'humiliation et le dégoût de soi-même une félicité intarissable. Le récit est raconté du point de vue de Veltchaninov, un de ceux qui l'ont jadis trahi et ont entretenu avec sa femme une coupable liaison. Relation éphémère qui n'a laissé que peu de souvenirs en lui, mais qui vient se rappeler à lui le jour où le cocu vient frapper à sa porte pour lui annoncer la mort de son épouse. Il amène avec lui une fillette qui pourrait bien être la fille de Veltchaninov. Pourquoi cet homme est-il revenu ? Que cherche-t-il dans son obsession pour celui qui l'a trompé et ridiculisé ? Quelle est cette très étrange relation qui s’installe entre les deux hommes, mélange d'attirance irrésistible et de mépris total, de fascination pour la boue et de désir de vengeance ?

Dostoïevski est le champion de ces intrigues tordues, et montre ici l'étendue de sa perversion et de sa finesse psychologique. Ce Troussotzky est l’archétype de la victime, masochiste total qui trouve dans l'humiliation sa raison de vivre. Il la cherche auprès de cet homme qui lui a valu ses pires frustrations, et n'a de cesse de plonger toujours plus loin dans l'abjection et le dégout de lui-même. Il y a tout Dosto dans cette recherche de la perfection : quand on ne peut pas être grand, noble, beau, intelligent, il faut rechercher la perfection dans le chemin inverse, dans l'abjection. Il ira très loin dans cette voie, allant jusqu'à redemander à Veltchaninov la même chose qu'il lui a déjà fait subir par le passé. Ce type de personnage, même s'il est éminemment russe, est immédiatement juste et reconnaissable : on regarde fasciné notre homme s'enfoncer dans la fange, convaincu par ses sautes d'humeur, ses petites et minables tentatives de rébellion, sa recherche de la Honte Totale. Face à lui, Veltchaninov est non moins intéressant, bourreau sans le vouloir, mais y prenant peu à peu un certain plaisir, sadique malgré lui, mais ayant besoin de sa victime autant qu'elle de lui. Prodigieux portraits de deux hommes pathétiques et minables, mais d'une justesse effarante, L’Éternel Mari va très loin dans la cruauté. Dommage que l'écriture de Dostoïevski (c'est son défaut depuis toujours) fasse souvent défaut à sa prodigieuse intelligence : phrases heurtées, parfois confuses, mal balancées. Peut-être doit-on incriminer la traduction, mais il semble tout de même que Dosto ait du mal à trouver ses rythmes et sa fluidité. Tant pis : on compense en précision psychologique les faiblesses de la trame, qui alourdissent notamment la deuxième partie et rendent le roman trop long. Tout est trop, trop excessif, trop tragique, trop dingue, mais tout est juste et sur-intelligent. Grand livre mineur.

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