LIVRE : Croix de Cendre de Antoine Sénanque - 2023

Une petite histoire médiévale se déroulant entre Toulouse et Albi, allez, ne faisons pas la fine bouche. Si Sénanque, automatiquement, pourrait se voir comparé à l'ami Eco, dans cette volonté de faire revivre cette époque (le XIVème siècle), avec son lot de trahisons, d'inquisiteurs fourbes, de morts pestilentiels, de parchemins égarés, de tortures, de piété religieuse, de folie ou d'amitié entre un maître et son disciple, il parvient tout de même à tracer sa propre petite voie. Oui, il sera notamment là aussi beaucoup question de respect, entre le fameux théologien Maître Eckhart et son petit scarabée Guillaume, puis entre ce dernier et son scribe Antonin. Transmission de valeurs, transmission de lourds secrets aussi, et récit de la grandeur et de la folie des hommes... Mais on est moins ici dans le thriller médiéval que dans l'envie d'en d'évoquer les théories religieuses qui s'affrontaient alors... tout en recréant une petite atmosphère vintage de bon goût...  On apprécie dès le départ cette plongée dans les petites rues de ce Toulouse moyen-âgeux avec ces deux frères dominicains qui sont en mission : trouver du velin, du cuir, de l'encre pour que le prieur Guillaume puisse écrire ses mémoires avant de mourir ; il y est alors déjà question de miasmes putrides, de lépreux, mais aussi de violence extrême (physique et psychologique) puisque l'un d'eux va se retrouver enfermé dans les geôles de l'Inquisiteur qui a un compte à régler avec ce Guillaume. On voyagera par la suite surtout par le récit que fera Guillaume à Antonin de sa jeunesse passée aux côtés de ce mystérieux et génial Eckhart - on saura tout ou presque tout sur la différence entre Dominicains et Franciscains, sur les couvents des Béguines, sur la propagation de l'épidémie de peste en Europe (il y a du nouveau...) ou encore sur la pensée développée par ce fameux Maître qui n'avait pas froid aux yeux... Tout le suspense est de savoir si ce frère emprisonné dans les premières pages parviendra à retrouver un jour la liberté et à quel prix (en l'échange de ces mémoires confidentielles, ou de la vie d'un autre homme, de plusieurs hommes ?). On sent que Sénanque prend le temps de diluer son récit, de favoriser l'évocation de ces divers courants de pensée, de rendre compte de ces batailles théologiques au profit de l'action brute ; on demeure tout de même relativement absorbé par l'évocation de cette figure que fut Maître Eckhart et par ces divers personnages : les fidèles dominicains qui font preuve d'un grand sens de la solidarité entre eux ou encore ce fourbe inquisiteur prêt à tout pour arriver à ses fins personnelles. C'est sans doute moins rutilant ou imagé que chez Eco, la langue est un peu plus pauvre, mais l'ensemble demeure malgré tout assez ambitieux (qui veut lire encore des romans en rapport avec la théologie au Moyen-Age ? Bon qui veut encore lire, vous allez me dire, tout simplement ?) et ces multiples mésaventures subies par les uns (les cadavres qui tombent du ciel lors de l'attaque de Kaffa...) ou les autres (une soirée dans une cellule avec une lépreuse nue, ça vous dit ?) sont suffisamment terribles pour nous tenir accrochés. Une sympathique immersion dans cette ère des plus sombres, un exotique chemin de croix.

Comments

[Athalie]

J'ai moi aussi apprécié cette immersion moyenâgeuse, même si les considérations théologiques prennent parfois le pas sur l'intrigue. Il y a assez de turpitudes pour se régaler ( et l'histoire de la peste est géniale !)