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23 septembre 2023

LIVRE : Triste Tigre de Neige Sinno - 2023

"Il est sans doute normal que [les violeurs] ne puissent pas regarder en face la gravité de ces actes. S'ils pouvaient vraiment le faire, ils se suicideraient. Ce qui serait à mon avis la seule sortie honorable pour un violeur d'enfant. Mourir de honte".

triste-tigre-sans40Enième roman sur le viol pour toute rentrée littéraire qui se respecte ? Roulement de tambour... Eh bien, non, et j'en suis le premier surpris : Sinno, victime de viol de ses sept à quatorze ans (et un procès qui fut relativement médiatisé en son temps), n'est elle-même pas dupe de la "vogue" de tels ouvrages et tente de déminer un à un tous les clichés éventuels et autres questionnements à la con sur le sujet ; elle  livre ici un témoignage franc, direct, avec semble-t-il tout le "recul" qu'il est possible d'avoir en tant que victime, et dieu sait que cela ne doit pas être évident.  

Sinno, d'entrée de jeu, se saisit du Lolita de Nabokov pour tenter de dire ce qu'elle ressent à sa lecture, ce qu'elle y voit, ce qu'elle en tire - et c'est déjà un angle intéressant. Par la suite, si elle n'hésite jamais, au détour d'un paragraphe, à citer moult extraits littéraires (souvent anglo-saxons, sa formation de base) ou divers spécialistes en la matière, ce n'est jamais pour simplement se contenter de dénigrer ou d'encenser tel ou tel auteur : elle essaie toujours ainsi, et de façon relativement à propos, d'apporter d'autres pistes de réflexion, d'autres visions, sur ce sujet (si débattu et parfois de façon grossière) qu'est le viol. Un témoignage d'une victime qui cherche à cerner le mieux possible justement ce qu'est une victime ou ce qu'est un monstre. Sans ambages, sans coup de gueule lyrique, mais froidement, comme le résultat d'une longue réflexion, d'un long murissement, d'une longue et éternelle souffrance - elle a aujourd'hui quarante-quatre ans. Elle ne cherche pas non plus à tomber dans la démonstration "littéraire" (elle revient d'ailleurs également elle-même sur le choix de cette écriture qui va droit en but, sans circonvolution inutile et s'en explique), elle ne cherche pas à asséner de quelconques vérités, à généraliser de quelconque façon, elle revient juste sur son ressenti pur, son parcours personnel et fait feu de tout bois en osant aller sur des terrains mouvants : le plaisir dans le viol (?), le pardon éventuel envers le prédateur (!), la relation entre sexualité et viol, etc, elle évoque frontalement ces sujets (comme pour parer à toutes petites questions mesquines) et donne clairement sa vision des choses - c'est clair, c'est net et cela sonne juste (on peut être ou ne pas être d'accord avec certaines de ses réflexions, mais on sent qu'il n'y a chez elle aucune posture : c'est parfois brut mais toujours réfléchi). Un témoignage sinno qua non, ni poudreux ni fumeux, et qui mérite amplement de laisser sa trace.  (Shang - 12/09/23)


Ah diable oui, ça fait du bien de voir ainsi l'éternel sujet du viol et de l'inceste traité d'une façon aussi juste et originale, sans tenter de faire de la littérature (mais tout en en faisant, et de la bonne), sans se cacher derrière ses doigts mais en restant très pudique et mesuré, tentant de faire le tour de ce qu'il y a à dire tout en laissant de telles béances dans le récit. En se plaçant du côté de l'analyse, de la référence littéraire, de la mise à distance des faits, Sinno trouve d'entrée de jeu la bonne distance, le bon angle. Sans du tout nier le bouleversement intérieur qu'elle ressent encore, et qu'elle ressentira toujours, concernant cette horrible période de sa vie, elle essaye de se placer face au viol, de le scruter façon entomologiste, d'en interroger les ressorts et les "motivations". Elle sait bien que moult écrivaines sont passées avant elles, certaines très compétentes pour exprimer l'indicible ; mais il faut qu'elle y vienne aussi, même si son livre n'est pas lu, même si ça n'intéresse qu'elle, même s'il serait plus intéressant d'avoir un livre écrit par le violeur que par sa victime. Alors elle y va, avec une franchise et une frontalité qui force le respect ; non point tant pour décrire les faits eux-mêmes, à la manière de Angot : le livre reste la plupart du temps évocateur, s'excusant parfois d'avoir à exposer crûment les choses pour les besoins de l'analyse. Mais les conclusions auxquelles elle parvient sont sans filtre, et vous arrivent vraiment façon coup de poing, comme Despentes à pu le faire parfois. Politique, littéraire, sociologique, psychologique, Sinno l'est tour à tour, mais sans ostentation, sans brandir de vérité face à ce problème complexe qu'est le viol d'enfant. Un peu tristement, mais en cultivant en même temps un humour étrange, à froid, assez féroce, elle écrit juste "pour essayer de m’échapper un peu de moi, de cette version subjective qui me hante et m’étouffe". Pour tenter de rendre son expérience intime collective, de partager, de sortir du silence, plaie de ce genre de crime qui repose sur asservissement des victimes et l'omerta. En écrivant ce livre nécessaire, elle nous fait parfois ressentir son désarroi, sinon son épreuve, intransmissible ; et c'est déjà capital. Un livre d'une acuité et d'une intelligence rares, un des plus beaux sur ce triste thème.  (Gols - 23/09/23)

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