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Shangols
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2 septembre 2023

LIVRE : Sarah, Susanne et l'Ecrivain de Eric Reinhardt - 2023

Sarah-Susanne-et-l-ecrivainOn monte d'un cran avec l'ami Reinhardt qui livre une œuvre à la fois assez cruelle quant au délitement d'une relation et assez pointue quant à son analyse d’œuvres d'art, qu'il s'agisse d'architecture ou de peinture. Cette dernière mouture se place, dirions-nous, sous le signe de la frontière, de la porosité, du changement, de la transformation. Lorsqu'il est question d’œuvre d'art, tout d'abord, et d’œuvres réalisées par l'héroïne (Sarah ou Susanne ? - disons Sarah, mais attendez, on y reviendra), on peut noter, dans cette tête géante de Ponge qui émerge du sol, un lien unissant littérature et architecture, une représentation concrète de concepts littéraires. Dans L’Église en dentelle, il sera plutôt question de liens pouvant unir un bâtiment et le paysage dans lequel il s'inscrit et dans l’œuvre, ou tout du moins le projet d’œuvre intitulé The Lover, d'une tentative de créer un lieu en adéquation avec des sentiments, une sorte de lieu pour transfigurer une relation amoureuse. Un tableau, représentant deux femmes dans un couvent, sera également très longuement évoqué dans ce livre : un tableau du XIXème dans lequel s'immerge totalement l'héroïne (laquelle cette fois-ci ? eh bien Suzanne) un tableau qui à la fois "l'avale" et qu'elle même tentera d'engloutir (!!!) : une œuvre qui peut représenter tout à la fois le passé, le présent (l'attente insupportable de Susanne vis-à-vis de son mari) et son futur (le tableau semble également préfigurer son drame intime : vouloir changer pour le pire... ou le meilleur ?).

Mais fi de ces petites annotations artistiques, de quoi s'agit-il ici pour faire bref : une femme, Sarah, contacte un écrivain pour retranscrire sa relation amoureuse foireuse ; l'écrivain, qui évoque les mésaventures de Sarah sous les traits de Susanne, se lance dans "l'adaptation littéraire" de ce récit, se faisant un plaisir de multiplier les allers-retours entre la vie de ces deux femmes (on pense au fameux film de Buñuel où l'héroïne est interprétée par deux femmes... Reinhardt y fera justement allusion dans ses remerciements...) : il sera donc question là aussi de porosité entre réalité et fiction, entre source d'inspiration et champ des possibles (la liberté prise par le créateur par rapport à ce récit "de première main" - que l'on devine d'ailleurs tout autant inventé... comme s'il s'agissait de proposer une sorte de "mise en abyme autofictionnelle", oserait-on) une réflexion sur la création, donc, mais aussi, en fil rouge, bien sûr, un véritable compte-rendu de l'évolution de la relation entre Susanne-Sarah et leur mari ; l'idée qui domine le récit est la suivante : un jour, l'héroïne, notant un certain déséquilibre dans son couple, décide de poser un ultimatum à son conjoint ; elle décide de s'écarter pendant quelques semaines du lieu conjugal pour que celui-ci prenne réellement le temps de réfléchir à leur relation et aux fameux déséquilibres (qu'ils soient financiers ou qu'ils concernent l'investissement personnel par rapport aux enfants) dont elle lui a fait part auparavant - sans qu'il réagisse jusque-là... Elle prend l'air, et ses distances, mais va rapidement se rendre compte que son échappée belle ressemble à une impasse ; son mari, avec ses deux enfants, dès son départ, réorganise sa vie... sans elle, sans même chercher vraiment à la contacter (seul le fils garde encore quelques liens avec sa mère). Dans une des scènes centrales du roman (sûrement la plus dure et la plus pathétique - et l'une des plus réussies), on voit notre pauvre héroïne assister depuis sa voiture à cette pantomine de bonheur nouveau qui se joue chez elle - sans elle... Terrible impression, alors même qu'elle voulait faire sentir son absence, d'être vite remplaçable, pour ne pas dire inutile... Cette scène-clé va forcément perturber totalement notre héroïne qui devra passer par différentes phases pour espérer sortir un jour la tête de l'eau - ou pas... On aime toujours autant cette écriture riche et précise du gars Reinhardt, ces descriptions artistiques notamment un peu alambiquées qui finissent toujours par retomber sur leurs pieds, et ce sens de l'analyse sentimentale au scalpel ; au final, un roman à double-fond (sur les motifs de la création (littéraire) et de la désagrégation (sentimentale)) qui se révèle autant agréable à lire qu'à méditer. Bonne lecture.  (Shang - 25/08/23)


Bien aimé les deux premiers tiers de ce roman, oui, en tout cas. Bon, après, j'ai trouvé que Reinhardt (c'est son défaut récurrent) avait du mal à s'empêcher d'en faire une ou deux couches de trop, et terminait son texte dans un excès qui colle mal avec son réalisme. Cette histoire d'asile de fou, de mangeuse de tableau, si j'en ai compris la portée symbolique, m'a semblé invraisemblable, et j'ai peu à peu quitté le récit pour me mettre à contempler un système, berk. Mais il est vrai qu'avant cela, le gars use d'une langue dynamique et précise pour décrire, sine qua non de la littérature française contemporaine, un désarroi amoureux. Cette femme qui s'écarte quelques mois (pense-t-elle) de son couple pour secouer un peu son mari trop endormi est décrite avec beaucoup de réalisme, une finesse psychologique indéniable, et est placée dans un roman assez haletant et varié. Non seulement la lecture est plaisante, grâce à une mesure impeccable du tempo, et une belle acuité des situations, mais surtout la thématique est magnifique et très bien menée : les rapports poreux entre réalité et fiction, la légitimité ou non d'un auteur à utiliser la "vraie vie" pour servir de matériau à sa trame, les petits arrangements avec la vérité pour transformer une expérience vécue triviale en grand récit romanesque, la part de "viol" qu'un écrivain doit forcément commettre pour trouver l'inspiration. Il y a tout ça là-dedans, et ce thème passe bien avant les considérations sur l'art (fatigantes, un peu bourgeoises) ou même la trame amoureuse (pas mal, mais finalement assez banale). Rarement un livre n'a aussi clairement exprimé la mise en abîme que constitue un texte, et Reinhardt excelle à semer le trouble entre les identités de ses deux femmes, pour mieux nous plonger dans un vertige délicieux. Comme Shang, j'ai beaucoup aimé la scène ou Susanne/Sarah regarde sa famille depuis un banc plongé dans l'obscurité à travers une fenêtre, comme au cinéma, scène qu'on verrait d'ailleurs bien représentée sur un écran (le gars semble avoir pris goût aux adaptation de ses livres). Mais il y a moult autres moments vraiment bien vus dans ce bouquin pertinent et intéressant, qui dure à peu près 7 minutes après lecture , ne nous emballons pas, hein, mais qui vous fait passer un agréable moment.  (Gols - 02/09/23)

Commentaires
A
J'étais tombée raide à la lecture de L'amour et les forêts ... Je note forcément celui-ci !
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