Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
8 septembre 2023

Anatomie d'une Chute (2023) de Justine Triet

5870956

La France est bien le pays du verbe (verbe hautement récompensé en festival) puisque qu'après Saint Omer voilà que débarque la Triet avec cette oeuvre centrée sur un procès : l'écrivaine Sandra Voyter a-t-elle assassiné de sang-froid son mari ou celui s'est-il suicidé en se défenestrant du point culminant de leur chalet - ou encore, est-il bêtement tombé du bâtiment comme un gland trop mûr ? Une question et autour de cette question les éternels vautours que sont les juges, les avocats de la défense et les avocats de la présumée coupable. Disons dès le départ les choses (ce qui ne sera au demeurant une surprise pour personne) : le film, subtilement et intelligemment écrit, va nous permettre tout du long, selon que l'on vienne d'écouter l'avocat de Voyter (Swann Arlaud, très à l'aise) ou celui de la défense (Antoine Reinartz incarne un avocat général très pusillanime et visqueux), de douter tour à tour de la culpabilité (ou non) de l'accusée - on n'est pas si loin d'un Thucydide dans l'art de la défense, dit-il uniquement pour lâcher une référence (d'autant qu'il n'a jamais terminé ledit ouvrage). Sandra Voyter, sous ses petits airs de ne pas y toucher, cette écrivaine qui peut le cas échéant se révéler être une redoutable prédatrice (bisexuelle ce qui décuple les possibles), a-t-elle d'un coup de masse et sous le coup d'une rageuse colère fini par envoyer ad patres ce lourdaud de mari ? Ou ce dernier, totalement dévoué aux siens, mais également rongé par la culpabilité (l'accident de son fils) et laminé par ses faiblesses (une vie d'échecs, au moins sur le plan professionnel et artistique) a-t-il fini par craquer, par décider de faire le grand saut pour se fracasser une bonne fois pour toute le crâne sur la neige ? Personne n'est tout noir, personne n'est tout blanc, personne n'est parfait et cette ambivalence de ces deux partenaires est déjà trés joliment croquée. De plus, dans un couple, qui peut savoir qui domine, qui prend plaisir à être dominé, qui est frustré, qui se plaît à être frustré, qui peut savoir exactement ce qui se passe tant l'équilibre d'un couple est par définition indicible et surtout... indéchiffrable par toute personne extérieure à la chose - un couple entre quatre murs : ce mystère capable des plus belles des connivences et des plus fortes implosions (c'est quoi ces traces de poing sur le mur en bois ? Oho, un jour je me suis sûrement un peu emporté, ehe, une broutille)... De ce point de vue-là, le spectateur en a donc pour son argent, chaque parole, chaque accusation, chaque nouvel élément rajoutant une couche à la complexité de la victime et de l'accusée...

anatomie-d-une-chute

Cette complexité des personnages se voit renforcée par une thématique littéraire : Voyter, écrivaine, s'est toujours plu dans ses oeuvres à jouer de la porosité entre réalité et fiction, comme toute bonne écrivaine contemporaine qui se respecte... Ce qu'elle écrit est-il le parfait reflet de ses pensées ou un simple jeu sur les éventualités, sur des mondes du possible ? C'est peut-être dans ses romans que se trouve la clé de l'énigme de sa vie, de cette vie où l'on ne sait trop si elle se plaît à jouer les gentilles passives-actives ou les dominatrices fourbes... Enfin, dernier élément de ce puzzle judiciaire, leur gamin, semi-aveugle depuis son accident... Cet innocent aux yeux ternes est-il celui qui va être capable de tout faire basculer ; cette figure vivante de la Justice (aveugle comme chacun le sait) va-t-il finir par faire pencher la balance pour ou contre sa mère ? Là encore, la gestion de sa présence dans le récit est plutôt finement amenéE... Alors oui, j'en vois déjà, ces éternels ronchonchons, qui vont dire que Triet ne traite pas franchement ce sujet avec une virtusosité formelle d'orfèvre (une caméra simplement amoureuse des mouvements de ces personnes pleines de paroles, quelques plans en insert sur un public pantois et intrigué, un découpage au cordeau : du bel ouvrage de base quoi, sans plus). C'est vrai mais cela étant, cela empêche aussi de brouiller la compréhension de ces paroles, des paroles qui portent toutes un sens précis et, éventuellement, un sens lourd de conséquence... On prend donc plaisir, surtout, à suivre les méandres de ce procés, cette bagarre de mots et d'interprétation et c'est un plaisir et un pari tenu sur 150 minutes. Donc joie et satisfecit. Encore une très belle réussite avec le mot chute dans le titre !  (Shang - 24/08/23)

anatomie-d-une-chute-critique-dune-palme-dor-vertigineuse-1486981


Subtilité totale d'écriture, direction d'acteurs hyper-fine, intelligence de construction : on n'attendait certes pas la pataude réalisatrice de Sybil ici, et la surprise est totale. Peut-être parce qu’elle s'est octroyée l'aide à l'écriture du grand Arthur Harari, la dame réalise pourtant un magnifique film tout en beauté et en retenue. Même impression que mon comparse d'un film qui va droit à son but, d'une apparente simplicité, mais qui renferme mille petites pistes à l'intérieur de son récit direct. Ce qui frappe surtout, c'est, justement, l'anatomie de ce couple : en apparence heureux et chanceux, il va se montrer au fur et à mesure des méandres du film d'une belle complexité; d'une ambiguïté troublante. Est-ce la femme qui manipule son monde et est parvenue au crime parfait ? Ou cet homme secret, qu'on ne voit vivant qu'au cours d'une scène (la meilleure du film), manipulateur en puissance, qui a poussé sa perversion jusqu'à mettre fin à ses jours aux pieds de sa famille ? Triet ne tranchera pas la question, faisant sans cesse basculer son spectateur d'un côté ou de l'autre. Cet aller-retour dérangeant et très intéressant est dû surtout à la subtilité avec laquelle elle rend compte du procès qui suit la mort de cet homme. Occupant la plus grande partie du métrage, celui-ci est un exemple de mesure, de compréhension, de nuances dans les personnages, dans la "disposition" de la parole. Tour à tour convaincu par la pugnacité de l'avocat général (magnifique Antoine Reinartz) ou par l'indignation ravalée de celui de la défense (Swann Arlaud), balancé entre les petits mensonges de Sandra et la sincérité de son discours, tourmenté par l'honnêteté de ce môme convaincu de l'innocence de sa mère, on suit l'affaire avec passion. Rarement on aura aussi bien rendu les rebondissements d'un procès, sa trivialité, ses difficultés et ses nuances.

anatomie-d-une-chute-2023

capture_decran_2023-08-25_160105

Chaque scène recèle ses petites finesses et ses petits trésors, et on ne cesse d'être admiratifs devant la tenue du film. Puisqu'il faut bien justifier notre réputation de grincheux jamais content, je dirais à la suite de Shang que, au niveau de la pure mise en scène, je n'ai rien trouvé d'inoubliable dans Anatomie d'une Chute, qui se concentre surtout sur son scénario puissant et ses acteurs impeccables pour convaincre. On en aurait voulu à Triet de faire sa maligne avec des virevoltes de caméra et du style inapproprié, mais j'avoue préférer les Palmes d'Or qui tentent des trucs formels (même ratés) à ce cinéma cérébral, certes maîtrisé à mort mais un peu trop "français" et psychologique pour moi. Nonobstant, vous me voyez impressionné par cette façon de transformer le thriller meurtrier en thriller psychologique, de décaler le motif criminel du film (la mort d'un homme) vers une énigme conjugale (que se passe-t'il dans l'intimité d'un couple ? Les relations amoureuses sont-elles blanc ou noir ?). C'est à travers un film dense et supérieurement intelligent que Triet a fini par trouver son style. On lui souhaite de continuer dans cette veine.  (Gols - 08/09/23)

Anatomie-dune-chute

Quand Cannes, 

Commentaires
C
Vous êtes pétés du crane, ce titre est très bon. miam !
Répondre
H
(J'ajoute une dernière couche, désolé mais il ne fallait pas me lancer sur cette question du titre, qui m'intéresse beaucoup !)<br /> <br /> <br /> <br /> Justine Triet a un rapport étrange aux titres : elle commence par un assez bon ('La Bataille de Solférino'), mais ses deux films suivants ont des titres-prénoms ('Victoria' et 'Sybil'), ce qui est devenu à mes yeux, avec le temps, l'une des façons les plus paresseuses, banales et insipides d'intituler une œuvre. Puis elle en vient à ce titre un peu prétentieux, et trop référencé à celui du film de Preminger...
Répondre
A
Ça ne choque personne ici, le titre de ce film ? Anatomie d’une chute… Personnellement, j’ai beau me triturer les méninges, je n’y comprends rien. On ne sait pas tout bien sûr, alors je suis allé vérifier, mais je n’ai pas pu trouver d’autre définition au mot anatomie que celle de Wikipédia par exemple : L’anatomie est la science qui décrit la forme et la structure des organismes vivants et les rapports des organes et tissus qui les constituent, définition conforme à celle de tous les dictionnaires. Jamais trouvé un autre sens que celui-là. Quand on avait traduit en son temps le film de Preminger Anatomy of a murder par Autopsie d’un meurtre, ça me semblait être une excellente traduction, très juste et en bon français. Mais on dirait que ça devient un poil ringard d’essayer de s’exprimer avec justesse et en bon français. Vous imaginez la banalité d’un Autopsie d’une chute ? Qui irait voir ça ? Ça paie bien plus de se donner l’air intello avec des formules prétentieuses et condescendantes, même si c’est finalement complètement con. A croire que ça flatte le public qui se dit que s’il n’y comprend rien, c’est que ça doit être drôlement intelligent !<br /> <br /> C’était mon quart d’heure vieux con, mais je m’en fous pas mal qu’on m’adresse un « Ok boomer » en me tournant les talons. En tout cas aucun risque que j’aille voir ce film.
Répondre
S
C'est ce que j'ai vu de plus beau cette année avec THE QUIET GIRL de Colm Bairéad.<br /> <br /> <br /> <br /> Outre la scène de dispute conjugale qu'on pourrait titrer « Scène de l'Envie Conjugale », admirable, la scène qui m'a marqué dans ce film passionnant, c'est une petite scène assez discrète où la mère vient se mettre à côté de son fils au piano. Insensiblement, elle joue avec lui SON air à elle, fait de bonheur, en remplaçant progressivement l'air que jouait son fils, l'air de son père, fait d'angoisse. C'est la clé du film : cette mère essaie, aussi généreusement que cruellement, de soustraire son fils à l'influence mortifère du père, ce qui me fait penser – presque – à coup sûr que cette femme est bel et bien innocente. En tous cas, je fais ce choix. Et on retrouve cette musique de la mère… au générique final.<br /> <br /> Le film ne fait pas du procès un spectacle : les jurés ne sont que des figurants, le public a assez peu de réactions, il n'y a pas de coups de théâtre forcés. Triet et Harari s'intéressent plutôt au raisonnement des avocats, au déroulement.<br /> <br /> C'est aussi très agréable et à remarquer de voir un film français doté d'un scénario aussi travaillé, aussi ouvragé, aussi brillant, aussi fouillé dans ses moindres détails (ex : l'étude de la chute du corps du mari en animation), avec des personnages complexes tout droit sortis d'un roman de Zweig ou de Schnitzler qui s'intitulerait « L'être d'une inconnue ». Et comme toutes les tentatives originales de la mise en scène sont pleinement réussies....<br /> <br /> On pense à « La Vérité » de Clouzot, avec le procès d'une femme atypique qui sert à radiographier une société.<br /> <br /> On pense à « Shining » avec cette violence dans le couple isolé dans la montagne neigeuse ; avec l'accident de Daniel origine du mal du couple ; avec cet enfant aveugle qui a le shining des émotions, qui a des flashes visuels à deux reprises (et on peut penser que les images de la scène de dispute qui n'est que audio sont ses visions à lui) ; avec la rigueur d'  « Autopsie d'un Meurtre » ou de « Douze Hommes en colère » pour le brio dialogué avec lequel les raisonnements des avocats et de l'avocat général sont exposés.<br /> <br /> Un très grand film !
Répondre
Derniers commentaires