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28 juillet 2023

Vers un Avenir radieux (Il sol dell'avvenire) de Nanni Moretti - 2023

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On pensait le côté nostalgique et drôle de Moretti mort et enterré, après ses films plus graves de la dernière décennie. Le voilà aujourd'hui miraculeusement revenu dans les terres qu'on adore, et réalisant un petit trésor de finesse, d’intelligence, d'humour et d'insolence. Irrésistible de revoir notre homme sillonner les rues de Rome, comme dans Caro Diario, jongler avec un ballon de foot, comme dans Aprile, se servir d'une piscine pour exorciser ses colères, comme dans Palombella Rosa, fustiger le monde moderne, comme dans Sogni d'Oro, enfin de retrouver notre bougre inentamé dans ses excès, son romantisme et sa mélancolie, de le revoir faire un dernier tour dans toute son œuvre, et réaliser un film à la fois nostalgique et amer, drôle et triste. Serait-ce à dire que Moretti se répète ? Que oui, et c'est magnifique !

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Dès les premières minutes, tout y est de son univers : il interprète un vieux cinéaste au premier jour de tournage de son nouveau film, consacré aux soubresauts d'une cellule communiste italienne à l'heure des insurrections à Budapest, l'heure où il va falloir faire un choix entre la fidélité au Parti ou la reconnaissance de la culpabilité soviétique et la désolidarisation d'avec Staline. Giovanni, confronté à l'inculture crasse des jeunes générations et à une sévère fatigue, ne s'intéresse qu'à moitié au projet, préférant rêver à un film qui retracerait la vie d'un couple à travers les chansons populaires. Il est d'autre part empêtré dans sa fin d'histoire d'amour avec sa fidèle épouse et productrice, et dans celle de sa fille qui est tombée amoureuse d'un homme qui pourrait être son grand-père. Tout lui échappe, quoi, et il regarde passer tout ça avec un abattement grandissant, rongé à la fois par la fin de ses idéaux et par les appels du pied de son passé. Vers un Avenir radieux va être tressé de ces deux directions : la politique et la nostalgie. Mélancoliquement, amèrement, Moretti traverse le monde moderne en regardant d'un air las les évolutions du cinéma, actant la fin d'une époque, s'énervant là contre une chaîne de télé lui demandant plus d'efficacité (Netflix et son "moment What the fuck"), se laissant aller ici à un ravageur instant d'émotion au premier degré (tout l'aspect comédie musicale), interrompant ailleurs un tournage aux situations convenues (le meilleur moment : Moretti qui convoque tout ce qu'il connaît d'intellos et d'universitaires pour empêcher une scène de violence fun), corrigeant ailleurs encore une erreur de jeunesse (lui-même à 18 ans faisant le fat devant La Dolce Vita au lieu d'embrasser sa fiancée). Tout en assistant au (poussif) tournage de son film sur le communisme, on suit une série de saynètes fantasmées ou réelles, mélangeant habilement réalité et fiction.

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Évacuons tout de suite les deux trucs qui semblent un peu ratés : d'une part le jeu de Moretti lui-même, étrange, un peu ailleurs, comme si le gars sortait d'un AVC ; d'autre part le fameux film dans le film, ce portrait du communisme finissant par la symbolique d'un cirque à l'ancienne : des scènes pas très inspirées, et qui montrent un cinéaste qui a cessé un peu de s'intéresser au spectacle pour mieux se concentrer sur son univers intime. Mais de ce côté-là, Vers un Avenir radieux est une pure merveille. Nul ne sait comme Moretti vous faire marrer avec ses éclats de colère homériques ou un gag absurde parfaitement pendable, pour mieux une seconde après vous laisser les larmes au bord des yeux. Les idées purement sentimentales ne manquent pas, et elles sont assumées au premier degré : son utilisation des chansons de variété, notamment, enregistrées avec une grande pureté et une grande sincérité, appuyées souvent par des petites danses d'autant plus ravageuses qu'elles sont toutes maladroites et filmées dans leur plus simple appareil. C'est rien, juste un geste (sa façon de tourner le dos à la scène de violence, comme s'il haussait tristement les épaules), juste un petit clin d’œil à son cinéma passé ou à celui des autres (Fellini et Woody Allen), juste une réplique gentiment soulignée ; et vous voilà touché comme rarement. Jusqu'à ce final qui finit de vous asseoir : renonçant à la fin cynique de son film, il nous offre une douce utopie en matière de conclusion, réécrivant l'Histoire façon Tarantino, convoquant pour un dernier tour de piste tous les acteurs de ses films. Le film, à chaque minute, est un émerveillement, une mine d'inventions et de drôlerie, et on en ressort avec le sentiment d'avoir retrouvé un vieux pote qui s'était éloigné. Un des grands Moretti. (Gols 07/07/23)

Sans titre


120x160-Vers-un-avenir-radieuxQue du bonheur en effet, célébrant pour ma part, par la vision de ce film EN SALLE (!!! quoi ?), mon retour en terre métropolitaine et ma découverte de ce charmant cinéma albigeois d'art et essai dans lequel je vais désormais passer plus de temps qu'à mon tour. Oui, Moretti, même si l'ombre de la fin (d'un temps, d'une époque, d'une vie ?) plane, est loin d'être mort et nous livre ici, en entrelaçant finement divers fils narratifs (tournage du film sur ces migrants du cirque venus de Budapest, tournage d'un film d'action par un jeune confrère allumé, tournage fantasmé d'une comédie musicale, rêves, vie amoureuse romaine (la sienne, celle de sa fille)), une œuvre totalement jubilatoire. Oui, on retrouve la causticité jamais émoussée du maître italien, encore capable de baisser la tête à la japonaise quant une parole ou un fait l'accable par sa bêtise mais de toujours chercher à la relever en prouvant par A + B pourquoi, lui, il a raison. Oui il est chiant, oui il pèse parfois un peu trop sur son entourage (ce qu'il paie au prix cher puisque sa compagne de toujours n'hésite pas à prendre de plus en plus ses distances par rapport à lui), oui il n'a pas de limites quand il s'agit d'enfoncer le clou : il y a, comme le soulignait Gols déjà, cette magnifique séquence sur le tournage d'une scène de violence (un homme qui doit doit tirer une balle dans la tête d'un autre homme genou à terre) ; Moretti interrompt le tournage de ladite scène (qui devait être la toute dernière) pour passer la nuit à démontrer la vacuité de la chose - plus personne ne l'écoute faire son petit numéro, plus personne n'écoute les intervenants qui tentent intelligemment d'apporter leur pierre à cet édifice démonstratif, plus personne ne cherche à comprendre le pourquoi du comment de sa critique. Las, Moretti finira par abandonner le terrain mais gardera la tête haute par rapport à son intervention. Cela vaut, dirais-je, pour l'ensemble de cette œuvre : il n'y a sans doute plus tellement d'illusions chez ce Moretti qui voit bien que, ce qu'il aimait (le sens de la solidarité chez les anciens du parti communiste, une certaine conception du cinéma, des traditions et autres habitudes intimes...), est en train progressivement de se dissoudre. Mais loin de n'être que critique par rapport à cela, il continue d'y croire, de rêver (à son film léger comme à un communisme dystopique épuré de ses erreurs mais gardant ses valeurs) et de livrer (dans un coin de sa tête resté libre) quelques purs instants de cinéma en musique (je suis un fan absolu de ce Sono solo parole de Fabrizio Moro qui m'accompagne tous les matins dans l'échappée verte (...)) ou en trottinette (il reprend le fameux concept du trottinatore de l'amore (en solo) défini par ma compagne - un voyage à Rome s'impose pour les plus sceptiques d'entre vous). Moretti reste droit dans ses bottes, marche en gardant le sens de la mesure (et de la démesure avec ce final felliniesque sous le regard du Colisée), tourne au besoin sur lui-même pour s'envoler, et continue malgré les multiples vicissitudes de ces temps modernes netflixiens (190 pays) de faire semblant de croire à un avenir radieux. Berlusconi est mort, Moretti est immortel. (Shang 28/07/23)

Commentaires
R
Vous (et le grand Nanni) redonnez envie de retourner au cinéma et de s'émerveiller après des temps bien difficiles. Merci à vous Shang et Gols!
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