Pierre ou les Ambiguïtés (2001) de Leos Carax
Le bouquin de Melville ne m'a pas laissé un souvenir marquant (j'en suis confus) et la première vision de ce film au cinéma à l'époque ne m'avait guère plus bouleversé (Merde, Carax quand même...). Je retente le coup avec la version télévisée de presque trois heures et le moins qu'on puisse dire c'est qu'après une première partie assez lumineuse (quoiqu'un peu vaine), le film tombe dans une dépression romantico-artistique aussi emballante qu'un papier-cadeau en alu... Oui Carax est un cinéaste fiévreux qui aime ce genre de personnages échevelés qui partent sur leur moto comme sur un cheval au galop (Carax est le cinéaste des mecs en moto, c'est clair) et ces chutes aussi inexorables que dévastatrices... Son héros, Guillaume Depardieu, a pourtant au départ tout pour lui : une mère aimante (Deneuve, caressante...), une petite amie bien sous tous rapports (ils sont à l'aube de se marier), une vie de château de coolos... mais voilà... il suffit parfois d'un rêve, d'une vague figure de jeune femme brune qui hante nos nuits, ou d'un simple besoin de nous mettre en danger... pour que tout déraille. Notre Guillaume, non loin d'un café, croise cette fille qu'il a vue en rêve et qui va l'entraîner au cœur d'un bois et de la nuit... Cette femme serait sa sœur, un rejeton de son diplomate de père quand il était à l'est... Guillaume quitte tout pour elle, cherche à la protéger (et s'en montre guère capable) et cherche tout autant à vivifier son écriture en squattant dans une sorte de secte artistique border line. Mais plus il se débat, plus il s'enfonce...
On retrouve, au moins dans cette première partie intitulée justement "A la Lumière", quelques-unes des fulgurances du cinéaste capable de servir des cadres foudroyants (cette future mariée sur son piédestal), de filmer avec fougue l'énergie et la vitesse de la jeunesse (Guillaume et sa moto, by night), ou encore de nous faire ressentir des atmosphères joliment ouatées (les discussions apaisées entre Deneuve et Depardieu fils)... Et puis, et puis il y a aussi rapidement ce désir de casser un peu son jouet, de ne plus faire que de belles images et de s'approcher jusqu'à l'os de la fièvre de ses personnages : un Depardieu qui s'enferme dans cet amour incestueux (qui ne débouche sur pas grand-chose), qui s'enferre dans une écriture fiévreuse (qui ne débouche pas sur grand-chose) et deux personnages féminins qui gravitent autour de notre homme sans pouvoir éviter le naufrage ou la tragédie... Bref, la chienlit s'installe et si l'on ressent (profondément) tout le côté "poète-écrivain-cinéaste" maudit du sieur Carax, si ce squat, cette sorte de capharnaüm désaffecté traduit toute la tempête qui se joue dans le crâne d'un Guillaume déboussolé, on finit par se demander, à défaut de voir l'intérêt fondamental de la chose (créer c'est souffrir ? mouais), s'il n'y a pas une certaine complaisance chez Carax à filmer ce marasme en pente douce... Le film en tout cas perd de plus en plus en intensité et on se désintéresse progressivement de ces personnages, de ces figures qui errent comme des âmes en peine dans leur chagrin et vers leur triste fin. Carax et son mal-être créatif, cela ne débouche pas forcément sur des oeuvres magiques... même noires.