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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
28 novembre 2021

LIVRE : La plus secrète Mémoire des Hommes de Mohamed Mbougar Sarr - 2021

9782848768861,0-7439211Hosannah ! on se plaint (moi, en tout cas) de ne trouver dans la littérature contemporaine française plus aucune trace de style, ni d'ambition, ni de puissance, de n'avoir affaire qu'à de minuscules récits écrits sur un coin de nappe et témoignant de la santé des nombrils de leurs auteurs. Mohamed Mbougar Sarr, en 400 pages, me prouve qu'il n'en est rien et me redonne du peps pour au moins un mois à venir. Oui, il y a encore des écrivains qui prennent la littérature au sérieux, qui s'en servent comme d'un rituel, qui considèrent l'écriture comme un acte magique. C'est le cas de cet auteur d'origine sénégalaise, qui s'occupe ici de Littérature avec un grand L, puisque son sujet, passionnant, lui est consacré : un livre à la fois maudit et génial, Le Labyrinthe de l'inhumain, arrive un jour sous les yeux du narrateur, un jeune écrivain. Génial, parce que sa lecture transporte immédiatement notre homme, comme il transporta jadis tous ceux qui l'ont lu, parce qu'il fait le lien entre la "négritude" et la culture européenne, parce que justement il n'est plus le roman d'un Noir mais un roman universel qui fait carrément passer la société africaine dans une modernité enfin délestée de son folklore. Et maudit parce que, après avoir été vu comme le nouveau Rimbaud africain, son auteur, T.C. Elimane, a été accusé de plagiat, puis a disparu sans laisser de trace, et sans jamais écrire d'autres livres. Le narrateur part donc sur les traces de cet homme, et sa quête très conradienne lui fera croiser moult personnages qui vont reconstituer façon puzzle la vie d'Elimane : de son enfance africaine à sa fuite en Argentine, de ses amitiés françaises à son exil sénégalais, on découvre ainsi un être façonné dans le mystère, charismatique au point de laisser sur son passage des êtres essorés, un être entièrement fait de littérature, qui impressionne même jusqu'à ses amis Gombrowicz et Sabato, et qui effectivement pourrait bien représenter une sorte de Rimbaud à l'envers, fuyant son africanité pour devenir un être universel, échouant à donner une suite à son chef-d’œuvre. La plus secrète Mémoire des Hommes est aussi, parallèlement, l’occasion de croiser les hommes et les femmes qui ont côtoyé Elimane, tous porteurs à eux seuls d'autres histoires tout aussi passionnantes que Sarr nous narre avec un art de conteur inégalable.

Car le roman, d'une construction hyper complexe, n'est constitué en fin de compte que de légendes qui s'encastrent les unes dans les autres. Tel personnage raconte telle histoire dans laquelle agit et parle tel personnage qui raconte son histoire, qui contient... etc. Cette construction en poupées russes pourrait être trop sophistiquée ; mais Sarr est un vrai génie pour garder toujours son cap ; et si, au sein parfois d'une même phrase, deux protagonistes différents prennent la parole, il parvient à ne jamais nous perdre dans le foisonnement. Comment fait-il ? Franchement, c'est de la magie... Mais les récits s'enchâssent dans un tourbillon étourdissant. Légendes, histoires de bordels, grands faits historiques, récits de Shoah, contes macabres, confessions, tous les niveaux d'écriture se côtoient, et pourtant le livre est parfaitement cohérent. C'est que l'ambition y est forte, que la soif de parole y est constant. Renouant avec la tradition africaine, Sarr aime l'oralité, a le goût du conte étrange ; mais son roman, justement n'est jamais "que" africain : il doit aussi beaucoup à une tradition réaliste poétique pas si éloignée des auteurs d'Amérique du Sud qu'il met en scène ou non (Sabato, Cortazar, Garcia Marquez), et aussi à une histoire de la littérature bien française celle-là. Refusant d'être cantonné à une négritude facile, mais ne reniant rien de ses origines, Sarr montre ici que la littérature déborde des cadres bêtement posés jadis : il est à la fois sénégalais et français, et se sert de ces deux cultures pour faire éclater les clichés des littératures locales. Qu'il parvienne ainsi à nous intéresser autant à la vie de deux petits éditeurs, à un conte fantastique à base d'inconnu se rendant au bordel, à la révolution au Sénégal, à une histoire d'enfant caché dans un puits ou aux seins d'une écrivaine, est remarquable. D'une inventivité prodigieuse, d'un style miraculeux ("La pudeur, unique faste des morts", on dirait du Valéry), son roman apparaît peu à peu comme une longue prière, comme un appel destiné à rendre la vie à un écrivain perdu, et donc à toutes les légendes dont il est porteur. Car c'est ça après tout qui nous est raconté là : comment un homme porte en lui mille récits, mille mensonges, mille livres, et comment tout commence et tout finit par le conte. Un Goncourt amplement mérité (remarquez comme je prends des risques...) (Gols 26/10/21)


C'est absolument flamboyant, très plaisant et teinté d'une douce ironie littéraire qu'il est bon de savourer... Dans les cent premières pages grosso modo, Sarr tente, en parallèle de son récit, de faire une sorte de bilan de ce qu'est le roman francophone, de ce qu'est la littérature, à la fois très simplement, avec méthode, tout en essayant de faire voler en éclats les idées reçues, les clichés, les poncifs... Une fois ce petit travail pour le coup purement littéraire, un rien théorique, effectué, il va s'enfoncer dans les méandres d'une histoire à tiroirs sur les traces de ce fameux Elimane, d'une façon finalement qui doit presque plus à Borges qu'à la littérature française ou africaine... Sarr plonge certes son récit dans la culture africaine, son roman possède certes un souffle romanesque très français mais encore une fois il surfe sur ces incontournables références comme pour mieux suivre son propre fil et livrer un roman qui échappe à ces différents carcans, à ces différents modèles. Il y a la quête du narrateur, qui fut celle d'une autre femme, une amie, proche d'Elimane, il y a la quête d'Elimane lui-même... Sarr multiplie les quêtes dans les quêtes, les mises en abyme dans les mises en abyme, non point pour nous perdre, pour nous noyer, pour faire le malin mais simplement pour nous décrire le chemin tortueux que doit suivre tout écrivain digne de ce nom - l'écrivain francophone d'origine africaine semblant devoir, encore plus que les autres, déjouer toutes les attentes du microcosme littéraire parisien, éviter toutes les ornières dans lesquelles il est si facile de tomber par facilité, par volonté de plaire, etc... Le récit est foisonnant, n'a de cesse de multiplier les époques, les personnages, de passer d'un continent à l'autre, d'un fait historique à l'autre (de la première guerre mondiale à la révolte sénégalaise) mais en gardant encore et toujours le même point de mire : faire à son tour une œuvre littéraire qui ne doit rien à personne tout en plongeant ses racines dans de multiples terreaux culturels. Roman qui joue avec les genres, qui joue avec les registres de langue, un roman plein de sensualité et de mésaventures, de paraboles et de réalisme qui se lit avec un immense plaisir. Que du bien à en dire et puis trop peur aussi, comme tout critique mal intentionné d'Elimane, de mourir soudainement. Un Goncourt plus que mérité, je prends encore moins de risque. (Shang 28/11/21)

Commentaires
C
Sans préjuger de la qualité de cet auteur pas lu, l'histoire racontée ressemble furieusement à celle (véritable) de Yambo Ouologuem, prix Renaudot en 1968 pour le remarquable "Devoir de violence). Que je vous incite vivement à lire !
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N
J'aimerais beaucoup qu'il ait le Goncourt aussi, histoire de placer en haut de la pyramide un vrai travail de Littérature. Je me suis régalée. Bravo pour cette chronique qui dit tout avec de biens meilleurs mots que les miens.
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