LIVRE : Avant le Jour de Madeline Roth - 2021

Madeline Roth plonge dans le grand bain, après nous avoir honorés de quelques romans jeunesse absolument précieux (essayez de m'arracher des mains Mon Père des Montagnes, vous verrez). Un simple glissement, et la voilà adoubée pour faire sa rentrée en collection adulte : il suffisait de vieillir ses personnages. Toujours sur les traces de la plus fragile des intimités, des fils ténus de la relation amoureuse, des liens cassables entre parents et enfants, la belle nous offre un très court texte (l'épure est son école) mettant en scène une femme, la quarantaine sonnant, qui reçoit un message de son amant : il ne la rejoindra pas pour le week-end en Italie prévu, puisqu'il est occupé par un deuil subi par... sa femme. Eh oui, Pierre est marié, situation que notre narratrice accepte bon an mal an. Elle part seule pour Turin, et profite de ce voyage pour faire le bilan de sa vie sentimentale, entre l'homme qu'elle a quitté et celui qu'est en train de devenir son enfant, affirmant ses choix et vacillant aussi de temps en temps face à cette vie qui ne ressemble pas tout à fait à ce qu'elle avait espéré dans ses rêves de prince charmant éternel.

Dit comme ça, on peut s'attendre à un roman Harlequin. C'est mal connaître la sensibilité de Roth, qui parvient à transformer n'importe quelle situation banale comme celle-ci en trésor de délicatesse. On croit dur comme fer à cette femme d'aujourd'hui, parce que ses sentiments sont décrits dans leur plus simple appareil, sans aucune fioriture, sans aucune coquetterie d'auteur. Les mots sont là, gravés comme dans du marbre, simplissimes et merveilleusement dosés. C'est ce style à l'épargne qui fait tout le sel de Avant le Jour : une manière hyper-sensible et tourmentée (mais sans cris) de mettre des mots sur l'intime, qu'ils soient fièrement revendicatifs ou douloureux, tristement triviaux ou romantiques. Si les rapports avec le fils sont peut-être moins convaincants (mais il faut dire que les sentiments maternels me sont parfaitement étrangers), on ne peut qu'applaudir devant la justesse de ceux avec l'amant (un peu connard, un peu banal), relatés de façon strictement vraie, sans les transformer en folle aventure tumultueuse ; et avec ceux de l'ancien amour, là aussi assez bouleversant dans cette façon qu'a la narratrice d'être à la fois nostalgique et heureuse, fière de ses choix et remplie de doutes. Au détour d'une de ces phrases simples et courtes dont elle manie les règles en orfèvre, Roth vous prend dans son filet invisible de sentiments indicibles, et vous ferait presque verser votre petite larme. Qu'elle soit de joie ou de tristesse, ça reste à définir.