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3 juillet 2020

Genpin de Naomi Kawase - 2010

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A mon avis, si un jour je dois accoucher, j'y réfléchirai à deux fois avant de m'inscrire à la clinique du bon docteur Yoshimura. Ce rebelle au système pratique une vision de la grossesse, de l'obstétrique et de la maternité, en-dehors de tout repère : acceptation de la mort du nouveau-né, de la douleur de la gestation, pratique de l'exercice physique pour les femmes enceintes jusqu'aux dents, refus des pensées négatives, entretiens fournis avec les arbres, envoi aux orties de la technique... on peut dire que notre gars est adepte d'une science sans science, une philosophie dirais-je, qui ne peut que lever de gros doutes sur sa viabilté. Auteur d'un best-seller et partisan d'un ésotérisme soft, héritier d'un confucianisme mal digéré, il a pourtant un certain succès auprès de la gente féminine, qui vient en masse accoucher sur le tatamis mis à disposition. L'accouchement naturel tel que prôné par ce professeur Tournesol légèrement allumé semble être une mode au Japon, si bien que même Naomi Kawase a fini par se pencher sur cette pratique. La voilà donc qui nous pond un documentaire en immersion chez Yoshimura, au plus près du prof et de ses adeptes. Il en ressort un petit film, certes mineur, mais assez passionnant pour deux choses : la profonde empathie et la profonde humanité que sa caméra dévoile, et les ambiguités (captées involontairement ?) de ce douteux pépé autoritaire et réac qu'elle met à jour.

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Foin de la forme : l'image est granuleuse (beauté du 16mm, soupire-t-il), les cadres parfois hésitants, le film assez répétitif et un poil trop long. Ce qui importe à Kawase, c'est de capter les moments magiques de la relation entre ces femmes et le docteur. Elle met donc son point d'honneur à filmer dans la longueur ces témoignages parfois pénibles de femmes ayant subi un premier accouchement douloureux, ou que leur petit ami a quittée dès qu'il a su qu'elle était enceinte, ou emplies d'admiration pour cette méthode qui doit autant aux livres de développement personnel qu'à la science. Dans ces simples portraits filmés au plus près, sans intervention, elle capte une vérité extraordinaire, le désarroi de ces femmes terrifiées devant l'acceptation de leurs corps ou les vacheries de la vie. Les trois scènes culminantes, qui rythment le film et le partagent en chapitres, sont celles qui montrent les accouchements : j'ai beau avoir un coeur de pierre et considérer les enfants comme des gremlins, je n'ai pu m'empêcher d'être emporté par l'émotion brute qui jaillit de ces scènes, de ces visages de femmes en souffrance et en extase remerciant toute la chrétienté de la naissance du gosse, de ces instants de vérité pure. Peut-être parce que, on le sent bien, ces nanas sont très inquiètes par rapport à leurs choix d'accoucher naturellement, et ont de sérieux doute sur leur place dans cette clinique, le soulagement est immense, la joie mille fois plus forte qu'ailleurs. Rien que pour cette authenticité que le film parvient à atteindre parfois, rien que pour ce doux féminisme qui ne se sent qu'à peine derrière ces témoignages, rien que pour le très beau portrait de ces femmes fortes et fragiles en même temps, on s'incline.

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Mais le film sait aussi se faire très ambivalent dans le portrait de ce professeur à la blanche barbiche, qui prodigue ses conseils comme s'ils lui venaient de Bouddha en personne, qui ne tolère aucune discussion vis-à-vis de son système. On sent quil ne faudrait pas le pousser bien loin pour qu'il balance des horreurs sur l'avortement ou remette ces femmes à leur place dans leurs rapports aux hommes. Le gars est autoritaire et sûr de lui. Il y a pourtant une scène terrible à la fin du doc où il est confronté à sa propre fille, et où on découvre que ses méthodes ont eu peu de succès dans son cadre familial à lui : une engueulade froide et désabusée de la jeune femme, qui abandonne carrément son père. Les limites du système tel qu'il l'entend se font entendre parfois, dans la grande peur d'une femme que son bébé ne meurt, dans une plainte du bout des lèvres d'une des sage-femmes, dans un discours trop allumé au bord d'un bois, dans la soudaine remise en cause du maître devant la cinéaste. On ne sait pas vraiment si Kawase a voulu y mettre cette nuance-là, mais elle y est : c'est bien beau d'accoucher à même le sol et sans césarienne, mais ça peut être dangereux. Un beau film, intime et sensible, à consulter avant d'enfanter.

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