Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
1 juillet 2020

Blanche-Neige (Branca de Neve) de João César Monteiro - 2000

vlcsnap-2020-06-27-23h40m12s694

De Straub à Tarr et de Grandrieux à Lelouch, on ne peut pas dire que l'expérimentation nous fasse peur à Shangols, ni la radicalité, ni l'ennui total. Mais je crois qu'on tient un champion du monde ici. Blanche-Neige, qui partage avec Walt Disney la même chose qu'un tournevis avec une sole meunière, est une adaptation d'une pièce de Robert Walser qui tourne autour du conte d'origine... à 99,9% constituée d'écrans noirs. Au départ, rien que de très classique : un générique sur fond de tableau rococo, puis trois plans sur le cadavre de Walser dans la neige (le type est visiblement mort de froid après avoir quitté son asile), bon, on s'apprête à passer un délicieux moment au coin du feu à écouter cette histoire archi-vue mais transcendée par l'écrivain suisse et par le cinéaste portugais réputé pour être le plus fantasque depuis Bozo le Clown. Puis, trois secondes après le top départ, boum, écran noir. On écoute alors les voix entremêlées de plusieurs personnages du conte, Blanche-Neige, la Reine, le chasseur, le Prince, discuter dans un langage très savant des tenants et aboutissants de leurs passions. On découvre entre autres que le chasseur n'était pas indifférent au charme de la jeune fille, et de sa mère tout autant.

vlcsnap-2020-06-28-00h01m45s767

Texte pas inintéressant d'ailleurs, malgré sa préciosité un peu datée. Il fouille les lectures psycholgisantes du conte, à la manière d'un Bettelheim, et donne un aspect très sensuel, très trouble à cette histoire pour enfants, évacuant tout ce qui "fait enfant" en coulisse : pas ou peu de nains, pas de mariage avec beaucoup d'enfants. Du sexe, de la passion, des sentiments troubles frôlant l'inceste ou des rapports entre amour et mort. C'est surtout qu'on a tout le loisir d'écouter les paroles puisqu'à l'écran, l'écran noir dure, dure, dure, jusqu'à constituer tout le métrage (ou presque). A la manière des Straub, qui auraient pu avoir cette radicalité-là pour faire écouter un texte au maximum, mais qui sont trop "naturalistes" pour ça, Monteiro, autant pas bravade que par nécessité, pousse la provocation jusqu'à ne rien filmer. La question se pose alors : où commence le cinéma, où s'arrête-t-il ? Si Blanche-Neige sort bien souvent de la catégorie, s'assimilant parfois à de la radio, il reste malgré tout un film : par sa façon d'éprouver la durée d'abord, cheval de bataille de Deleuze (et là, je vous promets qu'on la sent passer, la durée) ; par la fidélité à la projection, même d'une non-image ; et puis aussi parce que, à intervalles irréguliers, l'écran se trouve tout à coup rempli pendant quelques secondes d'un plan de ciel, rythmant le texte, donnant quelques respirations.

vlcsnap-2020-06-28-00h13m05s736

Dire que c'est passionnant serait mentir, on ne va pas se voiler la face. Mais reconnaissons qu"on a été bien attiré par ce film étrange et radical, par cette idée complètement folle, par cette façon rebelle et punk de faire du cinéma. Même si on s'ennuie sérieusement à la longue, un je-ne-sais-quoi attire pourtant le regard vers cet écran noir, et on "regarde" là où il n'y a rien à voir, comme si, frappés par le texte, nos fantasmes se trouvaient projetés là. Intrigant procédé... qui se termine par Monteiro lui-même, qui signe son film en nous murmurant un mot... que bien sûr on n'entend pas, laissant augurer d'autres envies de faire un film sans son après en avoir fait un sans image. Eprouvant, ardu, parfois ridicule et poseur, parfois vous plongeant dans des abysses de réflexion, encore un truc complètement barré dans nos colonnes.

Commentaires
Derniers commentaires