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6 mai 2020

Kes de Ken Loach - 1969

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Je me disais bien aussi : il me semblait que Ken Loach, à une époque, avait été bon. Eh bien je confirme, puisque je viens de revoir le deuxième film du sieur, le sensible Kes, et que j'en ressors tout mouillant et assez touché. A priori rien de nouveau en pays loachien, puisque voilà un mélodrame de la plus belle eau, un machin destiné à vous faire expulser toutes les larmes de votre corps, à laisser votre cerveau de côté et à vous laisser aller à la pure force du sentiment. Exactement comme aujourd'hui, oui, sauf que le gars prend ici d'autres pincettes, et que, au sein du flot lacrymal, il parvient à produire un portrait très juste et touchant d'un gamin de prolo ordinaire. Voici donc Billy Casper, junior d'une famille désunie (la mère vit seule), petit môme de 14 ans solitaire en proie aux injustices de cette terre : sa mère ne s'occupe pas de lui, son frère le brutalise, ses camarades de classe se foutent de sa gueule, ses profs lui mettent des coups de règle sur les doigts. Seule échappatoire : sa passion pour le dressage de faucon, en l'occurrence Kes, oiseau qu'il recueille et élève avec amour. Mais peut-on vraiment avoir une porte de sortie dans le monde brutal, analphabète et insensible de l'Angleterre ouvrière ? N'est-on pas condamné à rester dans le rang, à devenir mineur comme son frère ? Si, nous dit le film in fine, après un final, il faut le reconnaître, déchirant : Loach ferme tout espoir, même si, ça et là, l'humour, la tendresse, l'espérance d'une lumière ou la compréhension des adultes se font sentir.

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Il y a déjà tout ce qu'on n'aime pas et tout ce qu'on aime chez Loach dan ce film des débuts. Ce qu'on n'aime pas : un épais manichéisme, une mécanique très démonstrative pour prouver que les innocents auront les mains pleines et les bourreaux les auront coupées. Dans le monde de Billy, il y a les bons (lui, son oiseau, à la rigueur un prof qui décide de s'intéresser un peu à lui), et les méchants (tous les autres, représentants du pouvoir ou esclaves asservis à sa botte). La nuance, Loach l'ignore, ça ne fait pas partie de sa démonstration. Mais dans ce film-là, il faut reconnaître qu'il est plus subtil qu'à son ordinaire : le temps d'une séquence, les autres élèves, d'habitude brutaux et ricanants, se passionnent pour l'oiseau de Billy, son employeur colérique a droit à sa scène drolatique, son entraîneur de foot, abruti, se montre presque touchant dans ce match pathétique où il triche pour gagner. On se dit que, dans un autre contexte, les méchants pourraient devenir bons, c'est déjà ça de plus que dans les films politiques binaires d'aujourd'hui. On remarque aussi le goût plus que prononcé de Loach pour la démonstration par le sentiment : le gars ne s'adresse pas à notre intelligence mais à notre coeur, bon, pourquoi pas, même si on aurait préféré que Billy, par exemple, soit pus nuancé, moins aimable, ne tire pas toute la couverture lacrymale à lui.

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Mais dans ce qu'on aime : le portrait très crédible de l'Angleterre des faubourgs, du prolétariat basique. Toujours aussi réaliste de ce côté-là, Loach sait jouer à merveille des accents (cet anglais du Yorkshire est incompréhensible) et des petites anecdotes pour faire exister le milieu qu'il a choisi d'illustrer. La longue scène du match de foot est un modèle dans ce sens, chaque personnage est crédible et attachant, crédible et épais. Il y a aussi, dans les toutes petites séquences du quotidien, quelque chose qui montre que Loach connaît bien son sujet : la séquence du bal, celle de la livraison de journaux, celle du dialogue avec le conseiller d'orientation, toutes rappellent le milieu de Billy, l'enferment tout en portant sur cet univers un regard tendre et triste. Les acteurs, comme toujours chez lui, sont prodigieux de naturel, on se demande bien où il est allé dénicher ce môme pour qu'il soit aussi drôle et touchant et triste et profond. Et puis, il faut admettre que quand il décide d'envoyer les grandes orgues, Loach sait trousser une scène : celle du petit môme qui se fait engueuler et frapper par le directeur alors qu'il n'a rien fait est prodigieuse (ce gros plan sur son visage quand il voit la punition arriver est digne du plus beau Kiarostami) ; les plans apaisés sur Billy et son oiseau sont parfaitement sentis et mesurés ; le final est ravageur. Bref, un exemple de ce qu'a su faire le brave maitre anglais avant d'être étouffé par l'indignation, un film certes déjà vu (à moins qu'il n'ait été beaucoup copié depuis) mais sensible et assez émouvant.

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