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27 février 2019

Passe Montagne de Jean-François Stévenin - 1978

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Voilà du cinéma en liberté ou je m'y connais pas. Affranchi de toute contrainte de production, de narration, de mise en scène, Stévenin attaque sans complexe son premier film avec la candeur et la frontalité des débutants, et réussit un pur OVNI, déconnecté de toute mode et de toute tendance, qui tranche franchement avec le cinéma français de l'époque (et même de toutes les époques). Certes, Passe Montagne est un film très référencé, qui pique aussi bien à John Cassavetes (voisinage assumé totalement et jusque dans le générique, où le cinéaste américain est crédité en tant que responsable de la "continuité") qu'à Jacques Rozier, Jacques Tati ou Bertrand Blier. Mais reste que le film ne doit pas grand chose à pas grand monde, s'affirmant comme un projet éminemment personnel et unique.

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L'errance, la latence, le temps "parallèle" est le sujet du film. Un gars tombe en panne sur l'autoroute, est accueilli par un autre gars qui lui propose de réparer sa voiture, et reste des jours avec lui, faisant doucement grandir une amitié qui met longtemps à dire son nom. Autrement dit : un homme se met entre parenthèse le temps d'un décrochage en pleine nature, au contact d'hommes inconnus et de sensations oubliées. Il y a comme ça dans le cinéma de Stévenin un goût prononcé pour la sortie de route, qui trouve ici son plus bel exemple en la personne de ces deux déclassés de la vie, chacun d'un côté de la barrière sociale, qui se trouvent miraculeusement, s'aiment puis se quittent sans autre forme de procès. A ma gauche donc, Stévenin lui-même en mutique garagiste amateur, placé hors la vie et abandonné de tous, et qui cultive son rêve (construire une sorte d'oiseau-avion-poste d'observation en pleine nature sculpté avec un seul sapin) : il est mystérieux, simple, direct, prononce un mot par heure, et picole pas mal. A ma droite, Jacques Villeret (extraordinaire), architecte en plein désarroi, qui va prendre ces quelques jours de vacances forcées chez le premier : il est patient, ennuyé d'abord puis émerveillé, et il picole pas mal. Entre les deux, avec très peu de mots, patiemment, un lien va grandir, lien qui ne dit pas vraiment son nom d'amitié. La première partie est assez marrante de ce point de vue : les deux se cherchent, s'énervent, se tournent autour, Villeret souvent béat devant les réactions complètement inattendues de Stévenin. Une vraie complicité de personnages, qui se lit aussi comme une complicité entre acteurs : le duo apparaît comme une évidence. C'est vrai que le reste de la distribution est un peu sacrifié, et que Stévenin s'y intéresse assez peu, préférant préparer le terrain à ces relations entre les deux principaux protagonistes. Il y a à prendre et à jeter dans cette première moitié, parfois assez géniale dans son immédiateté, parfois assez branquignole dans son côté amateur. Mais Stévenin se montre un metteur en scène attentif et interessé par la technique, réussissant quelques petits travellings discrets absolument magnifiques et quelques recadrages fins, et enchainant les petites vignettes plus que les scènes avec un vrai sens du rythme (Yann Dedet au montage vertigineux).

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La deuxième partie constitue pourtant le point d'orgue du film. Les deux camarades partent pour une virée en montagne, faisant virer le film dans une abstraction et une liberté qui forcent le respect. Le glissement lent des hommes à la nature est parfaitement géré, et on admire ces cadres naturalistes magnifiques sur le fin fond du Jura, paysages assez rares au cinéma. Mais c'est surtout l'immersion au sein du chaos d'une énorme beuverie qui marque : on retrouve Cassavetes dans cette façon de plonger dans le désordre des formes, dans le bruit, les cris, les bagarres, les engueulades, les grands moments pathétiques de tendresse avinée. Stévenin se déconnecte de tout scénario pour filmer des hommes qui se saoulent, et on est bluffé par l'énergie de ces scènes hallucinées, parfois illisibles tant elles sont saturées de personnages et de bruit. Il fait rentrer dans son cadre des "acteurs" qu'on ne voit jamais, un peu à la manière de Dumont : des "indiens" (c'est la dédicace du film), personnages interlopes, ivrognes, moches, qui éructent une langue inconnue (les dialogues du film sont souvent inaudibles), fortement emblématiques d'un territoire avec ses propres codes et ses propres références. Une partie épuisante pour les yeux et les oreilles, certes, mais qui témoigne de la personnalité du gars, qui se permet à peu près tout, même si le micro rentre dans le champ ou si l'acteur n'est pas tout à fait au point. Un film émancipé de tout, ça fait bien plaisir à contempler.

PasseMontagne3_-©-Le-Pacte

Commentaires
M
Enflez légèrement les bajoues de Harrison Ford.<br /> <br /> Foncez un chouïa la tonsure.<br /> <br /> Ah. Ah.. ça vous dit quelque chose, hein ? <br /> <br /> Bingo ! C'est bien lui : l'adjudant de la gendarmerie de St Tropez
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V
J'objecterais plutôt La montagne d'argent de Senkichi Taniguchi, pour ma part. Voire Visages d'enfants de Feyder.
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H
Meilleur film de montagne avec 'L'Âme sœur' ! (D'aucuns m'objecteront peut-être certaines leniriefenstahleries...)
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B
Ça faisait longtemps qua j'avais envie de le voir et votre post vient de me rafraichir la mémoire. Merci, j'y cours...
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