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5 juillet 2018

LIVRE : Irrécupérable (How to talk dirty and influence people) de Lenny Bruce - 1965

9782367190631,0-4919034On connaît bien mal en France le grand Lenny Bruce, inventeur du stand-up dans les années 50, et inventeur également d'une certaine tendance de l'humour moderne, punkoïde, provocateur, tentant de casser le politiquement correct en flirtant dangereusement avec la censure et la prison. La prison, il l'a bien connue, puisque le bougre s'est fait arrêter plus souvent qu'à son tour pour avoir employé certains mots de quatre lettres ou évoqué l'acte de caresser buccalement l'appendice de son partenaire, ou tout simplement pour l'usage de stupéfiants. Autrement dit, des mots et des actes passés aujourd'hui dans le langage courant des comiques, et on peut considérer que c'est grâce à Bruce que cette libération des moeurs et du langage a été rendue possible*.

Traduction inédite donc de cette autobiographie trépidante, qui comporte son lot de retranscriptions d'auditions, de vannes douteuses et de sorties insolentes. En prenant la plume, Bruce se dit qu'il peut se lâcher et faire la vérité sur sa vie, son enfance, son ascension, ses addictions, ses combats pour la liberté d'expression et sa dépression (il se suicidera un an plus tard). Il en résulte un bouquin à son image : foutraque, sans plan, enchaînant les passages grandioses et les moments beaucoup plus douteux, plongeant parfois dans des longueurs profondes et des justifications d'une mauvaise foi totale (la drogue), et réussissant parfois de splendides portraits du music-hall new-yorkais de l'époque, avec ses tabous et ses pudeurs de jeune fille. Bruce sait manier le verbe, aucun doute : il suffit de lire le premier chapitre, le meilleur, celui sur son enfance juive à l'ombre d'une famille caricaturale, pour s'en rendre compte. Il y a du Philip Roth et du Woody Allen dans ces souvenirs drolatiques assez nostalgiques et en même temps monstrueux, et deux trois vannes absolument imparables. Ensuite, c'est plus fluctuant. Beaucoup de vannes tombent à plat, peut-être à cause de la traduction (il aurait sans doute fallu trouver des références françaises connues pour qu'on puisse réellement comprendre la chose), peut-être à cause du contexte de l'époque, peut-être à cause du name-dropping que le gars pratique à outrance envers des gens inconnus de nos services en France. Mais on perd en humour ce qu'on gagne en intérêt concernant l'histoire de la censure aux States : les longues relations des procès de Bruce face aux gusses tentant de déceler s'il a vraiment employé le mot "suceur de bite" dans un sens ironique sont sidérantes, kafkaiennes, absurdes. D'autant que l'auteur, après avoir relaté ces pesées du pour et du contre, termine la plupart du temps par une sortie qui en annule tous les effets (oui, oui, il a employé le mot suceur de bite, mais c'est pour ne pas employer le mot enculé, genre). Ses avocats ont dû pleurer en lisant le livre.

Irrécupérable est en tout cas un précieux livre historique, qui retrace la difficile reconnaissance d'une certaine idée de l'humour et de l'expression, et le courage d'un homme qui s'est battu pour elle, parfois maladroitement, parfois sans conscience, parfois avec une intelligence diabolique. Rien ne serait pareil dans ce domaine si Lenny n'avait pas existé, et son livre, bancal et inégal, est une très belle pierre décomplexée à ajouter au dossier de la censure dans ce domaine. C'est un livre frontal, libre, drôle, qui fait chier grand-mère, et en ce sens c'est un livre utile. Mes respects.

Commentaires
S
Vérification, confirmation, contrition : c'est bien en noir et blanc. Faudrait peut-être que je le revois.
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M
C'est à un poil près chronologiquement, mais rendons tout de même à ce pauvre Lenny ce qui lui est dû. Ne le dépouillons pas davantage (il a été assez fucked comme ça), et disons plutôt qu'il y a du Lenny Bruce chez Philip Roth et Woody Allen (cf la Borscht Belt).
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J
Il y eut un film, une sorte de biopic (avant l'heure du biopic) qui se nommait, je crois, "Lenny", ai vu ça il y a si longtemps que je ne me souviens que d'une chose, que le film était en noir et blanc... et encore, même pas sûr que ça l'était vraiment !
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