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30 mars 2017

La Mort de Louis XIV d'Albert Serra - 2016

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Faire un film en costumes et en reconstitution d'époque n'est après tout pas si difficile ni coûteux : il suffit de rester dans une seule pièce et de filmer trois acteurs portant plus ou moins perruques et brodequins, et le tour est joué. Albert Serra choisit donc l'option minimaliste, et réussit haut la main le plus beau film historique de l'année. Il filme la mort d'un roi mythique, certes, mais pour ce faire, plante sa caméra au milieu d'une minuscule chambre. Le sujet : l'affaissement d'un corps légendaire, la lente agonie d'un homme qui a toujours eu le monde à ses pieds et qui doit cette fois faire face à l'inconnu. C'est pas rien. Les cadres sont magnifiques, les lumières aussi, et on plonge en trois secondes dans une atmosphère certes lente et contemplative (les plans durent très très longtemps, quitte à ne montrer qu'un visage) mais hyper mathématique, encerclant le roi. Autour de lui se lamente plus ou moins sincèrement toute une cour, et notamment un groupe de médecins qui regardent la maladie gagner le vieillard, impuissants et vagues. Louis XIV est entouré de telles légendes, il est tellement connu et tellement mythique, que le filmer ainsi, dans tout son dénuement, face à ces pauvres docteurs démunis, provoque une sorte de sur-réalité : on est brusquement ancré dans le réel, on se rend compte brusquement que ce roi légendaire était en fait de chair et de sang, et que la gangrène pouvait aussi le gagner, et que la sénilité pouvait aussi le tarauder.

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La grande idée, c'est bien sûr d'avoir choisi Jean-Pierre Léaud pour incarner le gusse. Il est absolument monstrueux sous ses perruques immenses et son fard de 18 centimètres d'épaisseur. Serra convoque non seulement l'imagerie de Louis XIV (pour mieux la pulvériser) mais aussi celle de l'acteur de la Nouvelle Vague, filmant en même temps deux agonies, deux mondes qui s'écroulent, deux visages appelés par le néant. Les infinis cadres sur le visage de l'acteur, perdu au milieu des poudres et de l'or, immobile, sont magnifiques, très francs, sans pitié. On aime beaucoup également ces dialogues rares, murmurés, qui se moquent éperdument de la politique ou de l'état de la France, mais ne se concentrent que sur la maladie, sur les hypothèses des tenants de la science ou des charlatans de passage, sur la biscotte ou le raisin que sa Majesté acceptera de manger, sur les progrès de la gangrène et les humeurs du sieur. On voit parfaitement comment la cour agissait, on devine les tactiques politiciennes ou les sorts qui font tomber les têtes, par ces simples mots chuchotés autour du roi. Mais c'est surtout la mise en scène qui épate : la rigueur des cadres n'est jamais austère, transcendée par cette sorte d'effroi vis-à-vis du roi, et aussi ce regard presque enfantin sur lui : Léaud est un gosse auquel on file quelques friandises (il faut le voir grignoter son "biscotin", il est immense), mais un gosse dangereux qui peut vous envoyer au cachot en trois secondes. La longueur de chaque plan est miraculeuse, Serra coupe systématiquement au bon endroit, avec une sensibilité extraordinaire, nous laissant le temps de contempler en face la mort du mythe (et celle de Léaud, que le film ne se cache pas d'annoncer également). Bref, un grand film jamais austère, jamais bêtement exigeant, un film qui regarde honnêtement la mort dans son universalité. Il est mort, le soleil.

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