Le grand Passage ('Northwest Passage' (Book I - Rogers' Rangers)) (1940) de King Vidor
Voilà un film d'aventures qui fleure bon la chlorophylle, une histoire d'hommes entre eux traversant des contrées entières, se battant contre des Indiens à la force du poignet et marchant le ventre vide jusqu'à perdre la raison. Un grand film d'aventures comme on en fait plus (quand Spencer Tracy, le Major Roger leader des fameux rangers dit qu'il a cent cinquante hommes, on voit cent cinquante hommes à l'image et quand une heure plus tard, après des dizaines de kilomètres, notre troupe toute dépenaillée (c'est sans doute du bourbonnais, il faut se référer pour la traduction au Larousse bourbon) traverse une rivière, les cent cinquante hommes sont toujours bel et bien là). Vidor ne cherche point, avec son merveilleux technicolor, à en mettre plein les mirettes (en tout cas, pas que) : il veut surtout nous conter par le menu cette histoire de sueur, de courage, de mâles couillus qui, par monts et par vaux, continuent d'avancer coûte que coûte en jouant avec les limites du raisonnable. Une bonne vieille aventure à l'ancienne.
Spencer Tracy is THE man et il est entouré de deux rangers amateurs qui ont la niaque en la personne de Robert Young et Walter Brennan ; les deux compères se retrouvent dans l'aventure un peu malgré eux mais ils vont en avoir pour leur argent : ça commence comme une petite randonnée sympathique en canoë mais cela va vite se transformer en véritable Iron Man ; tout d’abord, on assiste à un petit épisode que ne renierait point Herzog puisque nos rangers, pour éviter ces fumiers de Français qui pullulent dans la région en ce XVIIIème siècle, vont devoir pousser leurs canoës jusqu’au sommet de la colline puis les redescendre jusqu’à la flotte pour contourner les soldats frenchy. Ensuite, c'est marche forcée dans la vase avec des nuées de moustiques, puis périlleuse traversée de rivière (jolie chaîne humaine formée par nos rangers qui se donnent la main pour faire un garde-fou), puis combats sanglants contre les Indiens du coin sauvages commes des canards, puis... pfiou, cela n'arrête pas et la difficulté est telle qu'on perd un peu en route l'objectif de cette virée... Il est question d'un lointain fort où des vivres attendraient nos hommes, comme pour un banquet à la fin d'un Astérix, mais l'on sent bien que nos rangers ont eux-mêmes un peu perdu en route le sens des réalités... Il y en a d'ailleurs plus d'un qui, soudainement, pète une durite et explose en vol... Spencer Tracy reste lui droit dans ses bottes de meneur d'hommes, toujours prêt à encourager ses rangers en loque, le moral et le bide en charpie, pour qu'ils aillent de l'avant. Il est un peu dur niveau rationnement (tout coup de feu risquant d'attirer l'attention, mieux vaut se nourrir d'un bon ragout de lézards plutôt que d'alerter l'ennemi : c'est pas vraiment une promenade gourmande) mais sait jusqu’au bout parfaitement tenir le cap. On se prend ainsi en pleine face, pendant deux heures, cette aventure humaine rude et rugueuse durant laquelle on entendrait presque les cameramen gémir, certains tombant en route tout en passant le relais (les réalisateurs à la tête du projet ont d'ailleurs été nombreux puisqu'on pourrait ajouter Jack Conway et W.S. Van Dyke). Véritable aventure humaine en troupe qui sent le jus de godasses et qui ferait passer The Revenant pour un film intimiste (l'individualisme a tout bouffé, c'est clair...).
Go old west, here