Les Maraudeurs attaquent (Merrill's Marauders) (1962) de Samuel Fuller
On ne pourra jamais remettre en cause le fait que Fuller rime avec guerre. Il nous livre ici une nouvelle preuve qu’il excelle dans le genre en nous contant cette histoire de soldats qui voyagent jusqu’au bout de la jungle… Et pourtant, au départ, dois-je l’avouer, je fis un peu la fine bouche : des hommes entre eux, ayant noué pour certains des liens très forts (amitié, respect et robustesse entre le capitaine Merrill interprété par Jeff Chandler, vieux corbeau grisonnant au regard d’acier, et son jeune lieutenant (Ty Hardin), mister beau gosse au torse imberbe), des hommes, donc, qui se baladent dans la forêt birmane et font péter du japs ; ces derniers rivalisent en arrgggg (en jap) et en greuuu (en jap) chaque fois qu’ils se prennent une grenade ou une balle dans la tronche. Bien, un film de guerre, quoi, tourné « pratiquement » on location (Les Philippines remplacent au pied levé la Birmanie - ouah c’est pareil, hein, c’est l’Asie), avec des hommes qui font leur taff de brutes et qui sont filmés à l’énergie par Fuller (la caméra sur l’épaule comme d’autres sont mus par leur barda). Seulement voilà, les trente premières minutes ne sont qu’un simple apetizer avant que l’on se frotte au vif du sujet : il va s’agir de mettre en scène la marche en avant - jusqu’à l’épuisement, jusqu’à l’extermination - d’une troupe qui puise dans ses réserves physiques comme jamais (traversant marais, montagnes, affrontant typhus, paludisme…), qui doit livrer des combats plus sanglant qu’une artère de cheval tranchée en pleine course. Et je passe sur ces terribles instants de doute qui traversent le regard du lieutenant : ces insignes « arrachés au cou de jeunes cadavres étant autant de lettres déchirantes à écrire » (Arthur Rambo).
Un voyage au bout de l’enfer, disais-je, pour ces jeunes recrues pugnaces. Fuller ne fait ni dans la balade touristique (marais qui sentent la fièvre, flans de collines abrupts où le moindre petit glissement de terrain emporte des hommes comme s’il s’agissait de vulgaires pantins), ni dans la promenade de santé : les hommes deviennent à moitié fous dans cette jongle étouffante et doivent faire un effort surhumain pour reprendre leurs esprits dès qu’ils se font canarder ; la tuerie dans la gare est un modèle du genre : Fuller utilise un décor de blocs en ciment qui a tout du labyrinthe et le carnage est ahurissant. Des piles et des piles d’hommes jonchent les venelles de cet endroit infernal, parfaitement conçu pour le massacre à grande échelle (s’il y a des facilités pour tirer sur sa proie en restant caché, il est impossible de savoir d’où l’ennemi peut surgir… bref, une parfaite boucherie aléatoire). Fuller, dans la foulée de ce carnage, tire une poignée de séquences qui font frémir (la beauté des rayons du soleil qui s’accrochent dans un arbre pendant que les cadavres sont évacués sur des civières - comme pour mieux souligner l’absurdité des hommes au sein de cette nature paisible ; ce face à face entre une vieille femme « birmane » au sourire qui flingue et ce soldat en pleurs qui s’effondre physiquement et psychologiquement…). On sent que le Fuller nous a pris dans ses rets et les dernières trente minutes s’annoncent exténuantes aussi bien pour ces hommes que pour le spectateur pris à témoin de cette folie.
C’est une véritable armée de morts-vivants qui va devoir affronter, lors d’un combat final épique, des Japs remontés comme jamais avec leur Banzaïïï !!!! Fuller, pour une fois, a les moyens de ses ambitions aussi bien niveau du nombre de figurants qu’au niveau du budget pétard : ça pète dans tous les coins comme s’il s’agissait de fêter le nouvel an chinois et l’on finit par se demander si le champ de bataille ne va pas finir par se transformer en simple cimetière à ciel ouvert, sans plus aucun employé debout pour creuser des tombes. La troupe de Merrill se réduit en peau de chagrin, les derniers maraudeurs n’ont plus que la peau sur les os. Fuller tente sur le fil d’en faire des héros alors que les survivants n’ont plus rien d’humain (ni de divin d’ailleurs…). Un projet porté à bout de bras par un Fuller jusqu’au-boutiste qui nous livre une œuvre musclée et prenante. Loin d’être un détail dans sa glorieuse filmo.
Fuller is full here