LIVRE : La Fille de mon meilleur ami d'Yves Ravey - 2014

Un nouvel exercice d'épure de la part du bon Yves Ravey, qui navigue depuis pas mal de temps sur les mêmes eaux pour mieux en creuser la nature : celles du faux polar, ou plutôt du quotidien qui dérive vers le polar (pour mieux revenir au trivial complet). Dans chacun de ses textes récents (Enlèvement avec Rançon, Un Notaire peu ordinaire), on suit les aventures d'un loser qui croit pendant quelques temps avoir gagné le jack-pot avant de s'effondrer dans la dernière ligne droite, à cause de ce foutu hasard, à cause de cette chienne de vie, à cause de la petite faute qu'il ne fallait pas commettre. Ici, on ne change rien : un gars conduit une jeune fille à la rencontre d'un fils que la justice lui a ôté ; trame "sentimentale" qui s'ouvre peu à peu, sous l'influence du hasard, au roman noir, avec chantage, valise de biffetons et tueurs à gros bras à la clé. Ravey est le meilleur pour les glissements de terrain, parvenant avec un sens de la mesure épatant à emmener son lecteur vers des endroits inattendus, surprenant sans arrêt dans ses inventions : difficile de savoir à l'avance quel va être le comportement prochain du protagoniste principal, tant ses intentions (et ses chances de réussir) semblent improbables et impossibles. C'est une véritable chronique d'un échec annoncé, décrite dans le plus simple appareil, avec une économie de moyens qui force le respect. L'écriture blanche (on est chez Minuit), le "behaviourisme" très américain du style, l'épure complète qui vire au squelettique, tout contribue à cette sécheresse de la trame. Tout est dit en très peu de mots, et les larges ellipses ajoutent encore à la rapidité d'exécution. C'est rare, dans la production française, de tomber sur une telle méfiance envers toute trace de psychologisme : Ravey n'explique pas, il montre, et son bouquin apparaît d'une simplicité cristalline. C'est pourtant ça le plus difficile sûrement, arriver à faire tenir tout un univers, et toute l'histoire d'un écroulement, à travers quelques faits, quelques gestes, quelques lignes de dialogues sans relief.