Sang pour Sang (Blood Simple) de Joel et Ethan Coen - 1984
Sur les conseils pressants de JJ et de princecranoir, retour sur l'oeuvre primale des Coen Brothers. Merci, du coup, aux deux sus-cités, puisque Blood Simple est assez proche du génial, et vient nous rappeler quels grands formalistes furent les frères à une époque (encore aujourd'hui, allez d'accord, mais quand même...). Un peu comme certains fabriquent des épures de western, ce film revient à la base des règles du jeu du film noir. En 1984, il ne reste certainement plus grand-chose du genre, et c'est la grande force de ce film que de revenir au schéma le plus simple possible. Ne demeurent que les motifs "sine qua non" : le flingue, le privé verreux, la blonde, le sang. Blood Simple ne raconte rien, il serait inutile d'y chercher un quelconque fond ; mais il est d'une élégance plus que brillante dans cet exposé des recettes du genre, livrées à leur plus simple expression.
Le jeu de piste hyper-sophistiqué et pourtant aussi pur qu'un haïku mis en place par les Coen constitue le seul plaisir de ce film. Et on se rend compte que c'est mille fois suffisant. Les plans, étirés au maximum comme il se doit, apparaissent comme de simples références mille fois vues dans les films des années 50 : jeux élégants d'ombres et de lumières, silence pesant, dialogues rares et ambigus, musique stressante, qui va tuer qui et comment ?, point barre. On s'émerveille devant l'absurdité totale de la trame (ces morts pas vraiment morts mais morts tués par des gens qui vont se faire tuer), surtout parce qu'on constate que ça tient : peu importe ce qui nous est conté, seule importe la mise en scène, le jeu, le puzzle retors, la jouissance d'être dans des codes ultra-conventionnels et d'y prendre plaisir comme au premier jour. Les Coen utilisent un écheveau de gros plans très variés, destinés à capter la goutte de sueur, le petit détail macabre qui soulèvera l'angoisse, les rapports entre les personnage, la contenance de la violence. Quand elle éclate, c'est dans des cadres sublimes, véritables hommages au Aldrich des grands jours, où la lumière strie les corps, où la tension accumulée explose en quelques dixièmes de seconde dynamiques à mort. Fun, c'est le mot, pour désigner ce plaidoyer pour un cinéma de genre disparu, traité ici en mythe éternel se suffisant à lui-même ("It's the same old song" en thème principal). Fun, mais aussi délicatement stressant, maîtrisé à la perfection, d'un modernisme étrange (dû peut-être justement à cet aspect vintage des costumes, des personnages, des ambiances), et surtout, surtout, d'un humour noir merveilleux. On reconnaît bien là nos Coen préférés, ceux qui vous font marrer avec un poignard planté dans une main, une gerbe de sang, ou un visage hideux. Blood Simple n'est qu'un exercice de style, certes ; mais quel style, et au service de quelle mise en scène !