LIVRE : Exit le Fantôme (Exit Ghost) de Philip Roth - 2007

Dire adieu au personnage de Nathan Zuckerman, les fans me comprendront, ça fait quand même quelque chose. C'est pourtant ce que nous propose Roth dans ce roman absolument immense, livre-testament sur la vieillesse, l'amertume et le renoncement. Mine de rien, Zuckerman a traversé l'Histoire récente, et depuis sa création il y a 30 ans, a toujours été un symbole de l'homme contemporain face au monde. Roth prolonge un peu plus ce statut d'"homme-allégorie" en faisant endosser à sa vieillesse toutes les horreurs du monde. Le fantôme présenté ici, vieil écrivain juif qui s'est soustrait de la société pendant 10 ans et qu'on retrouve affaibli, impuissant, incontinent, victime de trous de mémoire, c'est celui d'une certaine idée de l'Amérique qui appartient au passé. Entre l'heure de gloire de Zuckerman et son déclin, il y a eu le 11 septembre, le téléphone portable, l'élection de Bush, l'émergence de la littérature-trash, la mort des derniers écrivains classiques... Tout ça est traité en vrac mais avec la même importance : Zuckerman est un siècle qui s'éteint, un concept qui meurt, et qui le fait dans la trivialité.

Ca pourrait être réactionnaire, c'est fulgurant ; parce que Roth dessine ses personnages avec une véracité impressionnante, enfonçant très loin son scalpel pour extraire la substantifique moelle de chacun d'eux. Outre le héros, on a une galerie de portraits entièrement crédible : une jeune écrivaine talentueuse qui représentera le dernier émoi érotique de Nathan, son fiancé trop gentil, un biographe arriviste, une petite vieille atteinte d'Elzheimer, un ami mort dont on recueille le lourd secret... Sur fond de désastre contemporain (la seconde élection de Bush), Roth enregistre quelques personnages qui s'effondrent, livrant un de ses textes les plus désespérés, les plus bouleversants aussi. Exit le Fantôme est une mise au point sur l'état de la littérature aujourd'hui, qui n'hésite pas à se moquer du dandysme protectionniste de son héros, qui s'efforce d'être lucide sur notre monde tout en s'en soustrayant nettement, qui renvoie tout le monde dos à dos, les vieux écrivains puristes et les jeunes loups de l'écriture, la génération du XXème et celle du XXIème, les hommes trop obsédés par le sexe et les femmes trop amoureuses... On plonge dans l'écriture de Roth (génialement traduite par Marie-Claire Pasquier) comme en apnée, tenu par cet équilibre magnifique dans les phrases et les différents épisodes, par ces rythmes d'une maîtrise parfaite, par cette beauté des personnages qui sont scrutés jusqu'au plus profond. Et on se dit que Roth et Zuckerman ont fini par fusionner complètement, quelles que soient les réserves de l'auteur sur la part d'autobiographie des romans ; un livre d'adieu de Roth à une certaine littérature, ravageur parce que d'une amertume totale. Le 50ème chef-d'oeuvre de son auteur.