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Shangols
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18 août 2020

Une Femme dans la Tourmente / Tourments (Midareru) (1964) de Mikio Naruse

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Si ça ce n'est pas du grand mélo, je veux bien me faire curé à Diou (03). Hideko Takamine est une nouvelle fois au centre des attentions, un personnage plus que jamais fidèle "à l'image qu'elle se fait de la fidélité", semblant incapable de se laisser tenter, amen. Naruse nous fait entrer de plain pied dans l'air de la (sur)consommation (les gorettes qui s'empiffrent d'oeufs, séance bourrative explicite), des grandes surfaces, et s'il note que "les temps changent", que les clients ont tôt fait de faire leur choix entre leur petite épicerie de quartier et les supermarchés, d'autres, comme Hideko, n'en demeurent pas moins attachés à leurs idéaux. Personnage diablement romantique car totalement, déjà, hors de son temps, préférant s'effacer avec une immense humilité devant les desseins avides de ses belles-soeurs, préférant la fuite et la fidélité au passé plutôt que le bonheur (je soigne mes rimes internes): cette jouissance, au moindre coût, à consommer ici, maintenant, ce n'est pas pour elle, et sa fuite en avant - ou en arrière, c'est selon - ne peut que vous arracher de petites larmes devant sa beauté : un personnage trop pur pour être en phase avec cette époque.

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Reiko (Hideko), 37 ans, s'occupe du magasin de sa belle-famille, son mari étant tombé pour le Japon des années plus tôt. Elle vit là avec sa belle-mère, une bonne vieille qui fait pas de bruit, et ses deux beaux-frères, Koji, 25 ans (Yûzô Kayama, pas une tronche de jeune premier mais quelque chose, indéniablement, de "mâle", de viril, dans son allure - il dégage quelque chose, quoi) et un gars plus jeune. Koji est un peu la tête brûlée du clan : se battant volontiers avec le premier qui lui cherche des noises dès qu'il a un peu trop picolé, passant ses nuits à jouer au mahjong, se tapant une fois par semaine une chtite tepu du coin, il semble se faire un point d'honneur à rien branler. Reiko, qui a reconstruit elle-même ce magasin qui, légalement, ne lui appartient pas, assume pleinement son taff même si elle sent bien que le vent est en train de tourner. Il y a d'abord l'ouverture de ce supermarché qui leur pique peu à peu tous les clients, leur camion publicitaire hurlant dans les rues sa musique à toute heure pour rameuter les clients - bienvenue dans la subtilité du monde moderne. Il y a ensuite sa belle-mère et l'une de ses belles-soeurs qui commencent à se faire du mouron pour elle et à lui parler d'un éventuel remariage. Elles ne lui cachent point que, malgré tout ce qu'elle a fait pour eux ces dernières années, elle n'est point vraiment chez elle ici et risque de se sentir diablement à l'étroit quand les deux beaux-frères vont se marier. Elle tombe un peu de haut mais elle encaisse avec un mini sourire : il semble pour elle hors de question qu'elle trahisse la mémoire de son mari, mais si elle doit s'effacer, elle est prête à lâcher gentiment l'affaire... Bien bonne... D'autant que les deux belles-soeurs font terriblement penser à deux harpies prêtes à lui sucer son sang.

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Bien qu'ils aient eu droit à leur petit travelling ensemble, on ne pensait point que Koji oserait si rapidement se dévoiler auprès de Reiko : lors d'une magnifique séquence dans une pièce de la maison baignée dans l'ombre, Koji ose enfin avouer les tourments qui l'agitent au plus profond de son être : malgré la différence d'âge, il est depuis toujours fou amoureux de Reiko, et même si la face de celle-ci devient d'une pâleur mortelle, voilà, dit c'est dit, fallait bien que ça sorte un jour. Superbe ballet dans la pénombre entre ces deux individus dont l'on sentait bien les atomes crochus. Seulement Reiko est loin, très loin, bien qu'elle soit ébranlée par cette déclaration soudaine, de donner son feu vert à cette passion... On assiste par la suite à deux trois petites séquences magiques où les deux corps de Koji et Reiko se bousculent (dans le magasin) ou s'effleurent "incidemment" (lorsqu'elle lui enlève son imper après une livraison sous une pluie battante): la tension monte et Reiko se doit de prendre une décision ; elle réunit la famille et leur annonce qu'elle a décidé de se barrer pour vivre avec un homme qu'elle a rencontré !; les belles-soeurs sont jouasses, Koji est vert et n'en croit pas un mot. Reiko lui avoue que le souvenir de son mari sera toujours plus fort que tout (joli plan où la photo de son homme veille sur elle) et saute dans un train... C'est heureusement po fini, on voit bien qu'il reste une bonne vingtaine de minutes et on respire.

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Si Reiko est têtue comme une mule, Koji est également un bon client : elle ne tarde pas à s'apercevoir qu'il est monté dans le train. Fabuleuses petites séquences où Koji se rapproche dans le wagon, au fil du voyage, du siège de Reiko. Il tente de lui arracher un petit sourire qui tarde à venir mais qui finit par poindre. On est tendu comme une algue de sushi devant son écran, nom de Dieu, elle va bien finir par craquer, la Reiko : elle regarde ce pauvre Koji dormir en face d'elle comme un enfant, les yeux noyés par les larmes. Elle décide alors d'interrompre le voyage, et les deux de se diriger vers un petit village au milieu de nulle part ; en route, elle confesse : "Je suis une femme, quand tu m'as dit "je t'aime", I felt" (je suis un peu emmerdé pour traduire ce "I felt", mon japonais étant, qui plus est, inexistant... "être touché", mouais, disons...). On pense que l'auberge sera la ligne d'arrivée de leur amour...

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Elle tresse (on retient son souffle) un petit anneau de papier qu'elle enfile au doigt de Koji : le symbole de leur future union, ou sont-ils destinés à rester des amants de papier ? L'ultime travelling arrière sur Reiko courant comme une folle, toute démantibulée, fera terriblement penser au final d'A Bout de Souffle (remarque peut-être un peu profane), comme un écho lointain à cette incroyable course amoureuse désespérée. Le mot fin survient, Naruse est encore parvenu à nous couper une moitié d'une guibole. Cette odyssée Naruse risque de me laisser dans le même état émotionnel qu'une Vénus de Milo cul-de-jatte. Au pays des sentiments inavouables avoués, c'est le maître.   (Shang - 10/12/09)

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Mise en scène parfaite, acteurs géniaux, montage subtil, scénario en dentelle : on est d'accord, c'est du grand art, et c'est, comme toujours chez les trois grands peintres du sentiment nippon de cette époque (Ozu, Mizoguchi, Naruse) d'une subtilité extraordinaire. Ce personnage de femme d'un autre temps, incapable d'obéir à ses envies, contrainte de suivre la tradition et de ce fait à un certain masochisme, est d'une grande puissance... même si j'ai eu un peu de mal cette fois-ci à comprendre exactement ses motivations. Ok, d'accord, on n'épouse pas un homme de 15 ans son cadet, on ne marie pas le frère de feu son mari, on ne réclame pas sa part dans une entreprise familiale à laquelle on a soi-même livré toute sa vie, à la rigueur je veux bien l'entendre. Mais une fois l'épicerie oubliée, une fois le couple emmené vers ailleurs, pourquoi ne pas céder ? Mystère pour moi, et dépaysement coutumier du cinéma japonais : j'ai du mal à saisir les comportements des personnages. Ici, il faudra vraiment les dernières minutes du film pour que Reiko vacille quelque peu dans ses convictions d'un autre temps, mais il sera trop tard : elle est passée à côté de sa vie. Voilà qui m'a plus touché que le caractère proprement dit de l'héroïne, que je trouve excessivement auto-flagellant. Le dernier et abrupt plan est magnifique en ce sens, le visage interloqué de Reiko qui se rend compte en une seconde que tout est fini, qu'elle n'a plus maintenant qu'à enterrer définitivement ses sentiments et s'effacer. A part cette réserve, due au caractère trop psychologique peut-être du scénario, et qui m'a empêché de vibrer autant à ce film qu'à d'autres de Naruse, je reconnais sans problème le génie du maître qui arrive à vous passionner pendant 2 heures avec une histoire de tarif des oeufs et de petit commerce en voie de disparition.   (Gols - 18/08/20)

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Commentaires
F
J'ai découvert Naruse, Hideko Takamine et Yûzô Kayama avec ce film. Je ne m'en suis pas encore remis. La photo est splendide. Les acteurs irradient la vérité et la sympathie. Le découpage du film en trois parties -- 1. avant qu'il lui dise son amour 2. après qu'il lui a dit (la claque !) 3. le "rail-movie" jusqu'à la station de montagne -- et la fin sèche, à l'os, tiennent le spectateur tendu comme un arc. Un chef d'oeuvre.
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