Hangman's House de John Ford - 1928
Encore un bien beau film muet de notre Ford, le dernier de sa carrière, et même si je ne suis pas un grand fan de ce Victor McLaglen que le cinéaste semblait, lui, beaucoup aimer, je suis resté captivé par les inventions de la chose. Ce film semble rassembler les inspirations de pas mal de ses oeuvres passées, puisqu'on y retrouve quelques éléments désormais repérés : la course de chevaux, l'Irlande, le gusse qui revient ou qui part à la guerre, le patriotisme et les bourre-pifs. Ici, donc, on a droit à un bougre qui, sitôt rentré des combats, repart dans son Irlande natale pour régler son compte à un félon de la pire espèce qui a épousé puis abandonné sa soeur. Très efficace scène d'exposition, dans laquelle Ford utilise parfaitement les possibilités du muet : le soldat fêté comme un héros dans un banquet reçoit un télégramme, son visage se ferme doucement, puis il se lève, et balance un intertitre super radical : "Excusez-moi, messieurs, je dois rentrer d'urgence dans mon pays : il me faut tuer un homme".
A partir de là, c'est les ambiances champêtres habituelles de Ford, avec force personnages hauts en couleurs et buveurs de bière, moult chevaux crinière au vent, et verdure des champs qui passent même en noir et blanc. Avec cette fois, une bien jolie atmosphère qui vient se greffer là-dessus, qu'on pourrait qualifier de gothique anglaise : les paysages sont envahis par une brume rasante parfaitement fantomatique, et les motifs fantastiques ne manquent pas, à commencer par un des personnages principaux du film : une maison effrayante que n'auraient pas reniée Stevenson ou Poe, dont les fenêtres-yeux ne s'allument que lors de deuils (ou de mariage, ce qui semble revenir au même dans ce film). L'héroïne (June Collyer, rigolote dans sa dignité outrée) est elle aussi dans cette veine-là, victime sacrificielle de la vanité des hommes qui sait toujours garder sa superbe. Quant au méchant de l'histoire, il est génial, absolument immonde quoi qu'il fasse : summum de la cruauté pour Ford et pour tous les personnages : il tue de sang-froid un cheval, ce qui semble beaucoup plus grave chez les Irlandais que de battre sa femme.
Belle histoire donc, riche et esthétiquement très marquée, que Ford dope par quelques idées de mise en scène assez barrées. La palme revient à ce plan sur un homme devant sa cheminée, mais filmé de l'intérieur de celle-ci, derrière les flammes. Le cadreur a dû se cramer les moustaches, ou alors y a un truc, peut-être. La cheminée sert d'ailleurs d'écran de projection à tous les fantasmes de ce type (un juge inflexible et dur en fin de vie), puisque tout son passé s'y projette, ainsi que toutes ses craintes de l'au-delà. Il y a aussi des travellings vraiment souples pour l'époque, une course de chevaux tonitruante (peut-être moins réussie pourtant que celle de Shamrock Handicap), et des petits détails de situations craquants comme tout (le prisonnier qui suit la course depuis sa prison). Un vrai plaisir simple et dynamique.