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18 septembre 2009

Ma Saison préférée (1993) d'André Téchiné

Petite reprise d'un article écrit en Malaisie, avec quelques menues modifs, mais mon sentiment sur ce magnifique film est bien encore et toujours le même.

"Mais où est donc l'ami que partout je cherche
Dès le jour naissant mon désir ne fait que croître
Et quand la nuit s'efface c'est en vain que j'appelle
Je vois ses traces, je sais qu'il est présent"
Émilie (Catherine Deneuve)

Quatre saisons: une valse à quatre temps.

Quiconque ayant un frère, une sœur, des enfants, des parents, une grand-mère (...) ne peut être que touché par ce film. La maîtrise de Téchiné est d'avoir su analyser en parfait entomologiste les relations familiales (privilégiant l'axe frère/sœur- Antoine/Émilie, Auteuil/Deneuve - et les rapports de ceux-ci avec leur mère - Berthe, interprétée par l’extraordinaire M. Villalonga) et l'action du temps sur ces liens. Le TEMPS est le maître-mot du film : d'une part, l'époque moderne s’oppose à un période révolue – où la famille était la valeur de référence, servit de « valeur-refuge » -, comme pour mieux montrer le fossé qui sépare les deux générations. D'autre part, le temps narratif, son passage inéluctable, est appréhendé avec un art cinématographique rare.

Découpé en quatre chapitres (I - Le départ, II - Le faux pas, III - Le pas suivant, IV- Le retour) avec en toile de fond les quatre saisons (sous-bois ensoleillés, nuit enneigée de Noël, cueillette de cerises, récolte de pêches), le film évoque autant d'étapes dans la vie des trois personnages principaux :

- Automne (de la vie) : départ de Berthe, après un malaise cardiaque, de sa maison de campagne à celle d'Émilie et de son mari; retrouvailles nostalgiques d'Émilie et Antoine après trois ans de brouille.
- Froideur hivernale : dispute familiale; Berthe revient chez elle et Émilie quitte son mari.
- Résurrection printanière : Antoine re-vit avec Émilie; Berthe, après une nouvelle attaque cardiaque presque fatale (elle voit une partie de sa vie défiler) est placée en maison de retraite.
- Plénitude, le soleil au zénith : enterrement de Berthe (ascension au ciel…); réconciliation familiale.

Ce découpage, purement "formel", est toutefois à cent lieues de l'esprit du film : les rapports familiaux (d'amour et de haine) étant toujours subtilement évoqués, tout comme le passage inéluctable du temps.

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Famille : nous nous sommes tant aimés.

Le générique du début nous montre les détails d’un tableau d'enfants siamois; le ton du film est ainsi donné : Antoine et Émilie peuvent-ils vivre séparément ? A l'approche de la quarantaine, il semble en tout état de cause qu’à cet instant de leur vie tout les sépare : Antoine, spécialiste du cerveau, est excentrique, caustique, libre. Émilie est, elle, autant attachée à son mari qu'attachée, surveillée par lui - ils travaillent dans la même étude d'avocat, et ce dernier n'a de cesse de vérifier les dossiers de sa femme. Antoine est solitaire et extraverti, sa sœur, confortablement installée dans le cocon familial avec mari et enfants, est réservée, froide; quand l'une va à la messe de minuit par respect des traditions, l'autre préfère aller aux toilettes pour se faire la morale...

Rapidement, on comprend qu’Émilie a besoin du grain de folie d'Antoine pour s'échapper du personnage qu'elle s'est forgé année après année; Antoine, éternel enfant, ne semble pouvoir être pleinement heureux qu'aux côtés d'Émilie. D'ailleurs lorsque celle-ci lui apprend qu'elle vit désormais séparée de son mari, Antoine se réfugie une nouvelle fois dans les toilettes pour laisser éclater sa joie : «On se calme. Ca te fait plaisirPas de triomphe. Pas d'excès. Ca faisait 20 ans que tu attendais cela… » Émilie accepte de revivre avec son frère même si progressivement, elle devient de plus en plus mal à l’aise face à cette situation qu'elle juge "absurde" voire "ridicule" ; Pour Antoine, cette réunion est une fatalité, vu qu’ils sont « faits » pour se comprendre : « C'est biologique : on a deux cerveaux qui sortent du même ventre ».

Cependant devant le feu des critiques acerbes de son frère, qui aimerait qu'Émilie tombe un peu les masques, se laisse aller un peu plus, cette dernière finit par réagir : peut-être, avoue-t-elle, qu'elle n'est pas douée pour le bonheur. Antoine trouve la parade autant pour la rassurer que pour la garder à ses côtés : « C’est toi qui m'as tout appris. Si tu n'avais pas été là, je n'aurais jamais appris à aimer la vie ». Au-delà de cette confrontation fraternelle qui oscille entre l'amour platonique d'Antoine et la volonté constante d'Émilie de rompre les liens (pour ne pas dire le cordon), il y a la figure de la mère. Au fil du récit (notamment lors de cette scène magnifique où Deneuve joue Émilie enfant et apprend de la bouche de sa mère qu'elle aura un petit frère) on comprend que l'amour de la mère envers Antoine se retrouve à l’identique entre Antoine et Émilie mais a fini par fausser les rapports entre Émilie et sa mère. Cela apparaît au cours d'une scène où le frère et la sœur règlent leurs comptes :
(Émilie à Antoine) : - J'aimerais que tu n'existes pas.
(Antoine) : - Comme ça tu serais la préférée. Tu détestes ta mère parce qu'elle ne t'aime pas assez. Ce doit être terrible de détester sa mère.

Choderlos de Laclos écrit dans Les Liaisons Dangereuses qu'une femme qui n'a pas de respect pour sa mère est une femme qui ne s'aime pas. Émilie a passé sa vie à se renfermer sur elle-même, à cacher ses sentiments et a fini par devenir, comme lui lance son mari, une "infirme" au niveau sentimental, incapable de savoir ce qu'elle désire vraiment.

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Horloge, Dieu sinistre ou Avec le temps...

Téchiné se joue du spectateur en émaillant son récit d'indices, visuels ou sonores, sur la course du temps, mouvement perpétuel ou tic-tac lancinant : un avion qui traverse le ciel vient rythmer les scènes cruciales, des séquences où apparaît un ski nautique se jouent également du temps (ainsi la deuxième de ces séquences, lorsque le bateau va de droite à gauche, lance un flashback), un son entêtant de cloches revient également plusieurs fois (ce bruit est "mixé en arrière" lors d'une séquence où Antoine court pour rentrer chez lui, pressentant un malheur qui serait arrivé à Émilie) comme s’il s’agissait de traduire ce besoin constant d’Antoine de rattraper le temps perdu, une femme (magnifique Ingrid Caven, la muse de nombreux artistes dont Fassbinder, un personnage quasi « atemporel » car éternel ) qui chante dans un café "le temps passera, tout ça s’effacera..."entraîne un ralenti dans les images, comme un ange qui passerait pour suspendre le temps à jamais, les nombreux plans sur les photos des trois personnages principaux, des images figées à jamais dans le temps…

Une histoire à propos d'une pendule est symptomatique de cette symbolique. Lorsqu'Émilie annonce à son mari, Bruno, qu'elle a convié Antoine pour le repas de Noël, Bruno se plaint du comportement instable d'Antoine qui, lors de l'enterrement de son père, a fait un scandale à propos d'une vieille pendule achetée par le couple (Émilie tente tant bien que mal de justifier la réaction d'Antoine : « Il n'aime pas les antiquités; il dit que ce n'est pas comme cela que l'on s'achète une âme ») – Antoine se méfie en effet comme de la peste des apparences, un monde dans lequel d’après lui sa sœur s’est réfugiée alors et qui s’oppose aux sentiments « viscéraux » qu’il éprouve pour elle. Puis, après que le dîner a tourné à l'affrontement physique entre le frère et le mari, Antoine s'en sort par une pirouette verbale dont il est coutumier; il annonce d'un ton sentencieux qu'il a eu la prémonition de l'incident lors d'un rêve récent :« On était tous là et moi je cassais quelque chose : la pendule sur la cheminée... » Cette métaphore filée s’achève quand Émilie, décidant de rompre avec son passé, finit par casser elle-même cette pendule en la jetant par terre.

Ce côté puéril, blagueur, enfantin d'Antoine, est également le résultat d'un blocage dans le temps ; lorsqu'il se réveille chez sa mère, il avoue qu'à chaque fois il a le même problème : il lui faut faire un effort pour réaliser qu'il n'est plus enfant, « qu’il a connu d’autres trucs depuis ». Il n'est d'ailleurs pas anodin qu'il dise à sa mère qu'il n'a jamais voulu de la montre de son père : Antoine est un éternel adolescent et il en revendique le droit; il s'en explique parfaitement à sa sœur : « On est des enfants. Ne cherche plus à être adulte. Tout le mal vient de là. Pour y arriver, il faudrait plusieurs vies : on n'a pas le temps… »

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Ultra Modern Solitude : de l'instinct à l'instant présent.

Au début du film, Émilie demande à sa mère comment celle-ci faisait pour découvrir des champignons; elle lui répond sèchement : « C'est comme les animaux, faut pas réfléchir ». De même lors de la première visite de ses enfants à la maison de retraite, Berthe, après avoir fait plus ou moins mine de ne point les reconnaître, se lance dans des histoires délirantes, sans rapport aucun avec la réalité (Antoine aurait eu un grave accident, et sa maison aurait été détruite par la foudre). Une hémorragie cérébrale serait en fait à l’origine de ces visions imaginaires. Seulement, la suite de l'histoire lui donnera raison, les deux événements finissant par se réaliser. Comme le disait à l’époque un critique : «Berthe appartient à une espèce en voie de disparition. Dans notre monde actuel, il n'y plus beaucoup de gens pour instinctivement trouver des champignons ». Berthe fait partie d’une génération où l'instinct de survie tout comme l'instinct familial était inhérent à la façon de vivre. Ce sera d'ailleurs la grande leçon qu'elle donnera à ses enfants sur son lit de mort : « Votre père voulait que vous soyez modernes. Il voulait que vous fassiez des études pour réussir. Je regrette de ne pas avoir eu un autre enfant pour qu'il puisse me prendre chez lui sans que ça fasse d'histoires. » Elle s'était occupé d'eux en espérant qu'ils s'occuperaient d'elle mais comme elle le dit avec une pointe d’ironie accusatrice, « le monde moderne est ce qu'il est ». Un monde de progrès (…) où l'on coupe ses racines aussi facilement que celles des champignons.

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