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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
22 juillet 2020

Berlin Alexanderplatz (1980) de Rainer Werner Fassbinder

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Berlin Alexanderplatz est une oeuvre colossale, magistrale, phénoménale. 16 heures pour un film aussi foisonnant que passionnant. De la sortie de prison d'un Franz Biberkopf sous le choc à l'épilogue onirique et démentiel, véritable feu d'artifice, concentré du génie et de l'univers de Fassbinder, on est émerveillé de voir une telle qualité et une telle variété dans le jeu des acteurs, dans la mise en scène, dans la musique, dans les décors, dans la lumière... Bah, voilà une bonne semaine que je suis dedans et franchement, me voilà sur les genoux après ce final éblouissant

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Bon ben je vais faire court pour le résumé sinon on y est encore demain : vers la fin des années 20, Franz Biberkopf sort de prison après 4 ans pour avoir battu à mort son amie, dans un excès de rage et de jalousie hallucinée. Homme dont les faiblesses principales résident dans ces excès de violence et son alcoolisme, il sera tour à tour vendeur de journaux, vendeur de lacets (ouais pas le pied), voleur avant de redevenir maquereau... Si en plus on ajoute qu'il flirte par deux fois, avant de s'en retourner, avec le futur parti nazi, il est clair que cela ne donne pas de lui un portrait des plus sympathiques... Et pourtant, et pourtant, malgré cela, le Biberkopf est le plus souvent la bonté même, l'homme qui pardonne, l'homme qui oublie les trahisons, l’homme qui essaie malgré tout d’avancer à défaut de retenir toujours la leçon, l'homme dont l'optimiste souvent aveugle va le mener à sa perte. Autour de lui gravite surtout un homme, Rheinhold, qui sera celui qui le poussera dans la folie... Si dans le dernier épisode Biberkopf finit proprement crucifié (…) - on retrace les grands événements de son chemin de croix -, Rheinhold apparaît lui résolument comme le diable incarné... Deux entités pourtant (ou justement?) inséparables qui ont fait connaissance en s'échangeant des femmes aux moeurs légères. Parmi les femmes les plus proches de Franz, il y a Eva, l'amie de toujours, constamment à l'affût pour le sortir d'un mauvais pas et surtout la très jeune Mieze, prostituée à ses heures, entièrement dévouée à son Franz. Ce dernier, souvent naïf, souvent égoïste, mais plein de bonne volonté, aura beaucoup de mal à éviter les obstacles qui se dressent devant lui, perdant même un bras au milieu du récit. Franz est entier, accumule les erreurs sans toujours être capable de changer de fond en comble son comportement, Franz est un homme tout simplement, et un caractère au final des plus attachants...

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Que peut on louer le plus ? Les quatre acteurs principaux sont magnifiques, Gunter Lamprecht en tête (ventripotent et dantesque), Hanna Schygulla (éblouissante), Babara Sukowa (poupée fragile et têtue) et l'inquiétant Gottfried John dans un rôle de salaud confondant. La mise en scène du père Fassbinder peut sembler parfois un poil théâtrale mais dans le bon sens du terme : chaque acteur se meut avec un naturel terrible et Fassbinder a le don pour les plans séquence qui coupent le souffle ; des panoramiques aux travellings, tout y passe pour se jouer des champs/contrechamps, et il n'y a qu'à voir d'ailleurs dans les premiers épisodes la façon dont il joue des miroirs pour être déjà sur le cul. La musique avec cet air entêtant à l'harmonica signé Peer Raben est un régal (certains thèmes au piano, notamment dans les tous premiers épisodes sont sublimes) et cette lumière jaune, orange, noire donne un cachet au film éblouissant.

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Bon mais là en fait j'ai encore rien dit... Rien que le dernier épisode, l'épilogue, mériterait une thèse pour son aspect baroque, démesuré, lynchien (franchement ici la référence n'est point usurpée)... fassbinderien (masochisme, partouze, 3000 rats en figurants, personnages grimés, homosexualité, anges gardiens en tenue romaine, figures christiques et diaboliques...) ; j'ai encore en tête certaines scènes de folie comme cette "discussion", véritable monologue de dément, de Franz Biberkopf avec 3 bières et une bouteille de Schnapps pendant 10 minutes : proprement anthologique ; il y a toutes les séquences dans une rue de Berlin dédiée au plaisir de la chair qui pourrait donner une attaque cardiaque à Christine Boutin (offrez lui le dvd, ça vaut le coup d'essayer...), mais aussi toutes ces scènes de tendresse, d’amour et souvent de disputes entre le Franz et sa demi-douzaine d'amantes...; il y a l'épisode où Franz passe sa vie dans une chambre à boire bière sur bière avant de finir par comprendre qu'il ne peut définitivement compter que sur lui-même... La caméra de Fassbinder colle à ses personnages dont les multiples maladresses, envolées lyriques, et autres échecs nous donnent l’impression d’avoir un concentré d’humanité en marche. Si l’on retient qu’il faut toujours garder un œil ouvert – et le bon (aussi bien sur le plan politique que sur le plan de ses idéaux) – on demeure baba devant cette œuvre artistique sans pareil… Enfin bon j'effleure à peine le sujet, le mieux étant que vous-mêmes, au lieu d'acheter pour Noël un téléphone portable qu'on vous volera dans 6 mois, investissiez dans ce coffret mythique... Certes en Chine, pour 7 euros l'intégral, on se sent point floué... C'est un choix de vie aussi...   (Shang - 05/12/07)

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Étant moins fassbinderien que mon compère, je considérais le texte ci-dessus comme un emportement lyrique de sa part. Au bout des 16 heures de vision, vous me trouvez tout aussi scié à la base que lui. Il y a tout un monde dans ce film sidérant d'invention, tout un style, tout un univers, qui emprunte aussi bien au théâtre allemand qu'aux pulsions intérieures de Rainer (homosexualité, désirs de violence, attirance vers l'enfance, réflexions sur la bonté), aussi bien à Dostoievski qu'à Brecht, et qui crée un univers unique, inouï, cohérent, qui vous laisse pantois. Tout comme pour Lynch, référence en effet immédiate, cette série paraît aberrante tant elle est anti-commerciale et personnelle, tant elle se permet un rythme pas du tout adapté à la télévision (à moins que celle-ci ait beaucoup changé en 40 ans, ce qui est encore tout à fait possible), tant elle n'existe que sous le regard unique et personnel d'un seul cinéaste.

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Plusieurs truc, mis à part ce dernier épisode sidérant, mis à part le jeu génial des comédiens (j'épouse Gunter Lamprecht quand il veut), mis à part la cohésion totale de l'ensemble malgré son côté morcelé, décousu parfois, mis à part le magnifique fond sur ce héros-enfant et sur l"innocence impossible, m'ont marqué :

- la photo, très étrange, parfois volontairement floue, prise dans une sorte de halo qui évoque le rêve dans toutes les scènes d'intérieur, qui fait briller les dents ou la plus petite goutte de sueur sur un front, comme si tout était posé à l'intérieur d'un diamant : Fassbinder ne lâche jamais cette image onirique, du début à la fin, si bien qu'on finit par lire le film comme une histoire qui se situe dans les limbes, dans un no man's land déconnecté du réel. L'ancrage dans le Berlin pré-Hitler est pourtant très précis, avec ses reconstitutions très soignées des bas-fonds, avec ses petites frappes, avec ses splendides costumes, avec son milieu interlope de travestis, de prostituées, d'ivrognes, de petits mecs prêts à tous les métiers pour tirer quelques marks.

- les plans lointains, qui sont pléthore, notamment sur l'appartement de Franz, très souvent pris dans son ensemble, même dans les moments "intimes". Dans des décors très minutieux, le film déploie une série de tableaux généraux, comme au théâtre, et les fait durer souvent très longtemps, comme au théâtre. Du coup, les rares plans serrés deviennent encore plus forts dans ce contexte.

- le sens de l'ellipse : d'un épisode à l'autre, des événements capitaux se produisent, alors qu'au sein d'un épisode, on peut passer de longues minutes sur un seul petit détail, voire sur rien du tout : la séquence hallucinante où Franz et Mieze ne communiquent que par grognements, rejoignant ainsi le camp des bêtes ou des bébés, est par exemple une pure expérimentation, et le film est plein de ces scènes qui explorent simplement une forme cinématographique sans autre but que l'expérience, comme cette scène où les hommes de main de Poums discutent en se croisant et en marchant dès qu'ils ont la parole, en plan-séquence, ballet absurde mais visuellement très fort.

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- la musique : si certains thèmes reviennent régulièrement tout au long du film, on dirait que chaque épisode est placé sous le signe d'un genre, d'un thème, d'une ambiance. On a la musique à la Kurt Weill, l'opéra, la musique de guinguette, la musique expérimentale, jusqu'à l'épisode final où se mêlent Kraftwerk, Elvis, Leonard Cohen et Wagner, dans un mélange hyper mesuré et bien barré. La musique du film est magnifique, utilisée soit dans la longueur du morceau (certains épisodes sont envahis par elle), soit par bribes ("Radioactivity" qui ne cesse d'apparaître et de disparaître)

- la voix off : elle fait son apparition de temps en temps, rythmant de ses considérations sibyllines et poétiques cette histoire finalement bien terre-à-terre, et plongeant le film dans une atmosphère distancée, bizarre, surréaliste. Berlin Alexanderplatz fait d'ailleurs sans arrêt des allers-retours entre le réalisme le plus cru (voilà un cinéaste qui sait ce que c'est qu'un corps, mazette, et qui ose le filmer) et l'onirisme le plus poétique, tenant sans arrêt son spectateur entre deux eaux, refusant la facilité de la narration simple ou du bon gros délire de génie.

Il faudrait ajouter plein de choses, mais c'est vrai qu'on a du mal à communiquer la grandeur de ce film, et qu'il vaut mieux que vous vous tapiez vous-même ce fameux coffret (ou que vous alliez sur le site d'Arte, qui le diffuse jusqu'à mi-août). En tout cas, merci à Shang qui s'est bien battu pour que je me tape la chose, il vient quand il veut pour un apéro géant.   (Gols - 22/07/20)

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Fassbinder ist in there

Commentaires
S
Ah j'aime quand tu aimes ; j'amène l'apéro en août inchallah !
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B
Superbe(s) critique(s), les keums. <br /> <br /> Vraiment.<br /> <br /> C’est par celui-là que j’ai commencé à aborder Fassbindo... eh ben j’aurais peut-être pas dû, tant les autres œuvres que j’ai vues du Herr (excepté le très beau Lili Marleen) m’ont paru toutes petites-petites à côté de ce monstre complètement fucké, halluciné et bouleversant.<br /> <br /> Et moi z’itou, je suis complètement tombé amoureux du Sieur Lamprecht... sacredieu, quelle prestance ! Quelle dégaine ! Et quelle voix aussi.<br /> <br /> Je veux son hologramme.
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G
C'est le vrai format ces images carrées?... Marrant!<br /> <br /> Je vais m'y mettre, ça a l'air bougrement intéressant.
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