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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
4 juillet 2020

Printemps précoce (Soshun) (1956) de Yasujiro Ozu

Ce printemps précoce de Ozu qui aurait pu s'apparenter à l'âge de l'insouciance (comme ces jeunes rameurs qui passent sous un pont) et de la frivolité (un mari trompe sa femme, c'est po bien, nan, mais bon il n'y a pas non plus mort d'homme) est un film très sombre émaillé de remarques sur la société japonaise extrêmement pessimistes, comme si dix ans plus tard la guerre était loin d'être finie.

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La trame quoiqu'un un peu confuse au début - on suit une groupe de comparses tous salariés d'entreprise - se resserre "vite" (vite chez Ozu ça veut bien dire au bout d'une heure...) autour du flirt entre Sugi (un homme marié) et "Goldfish" une jeune fille assez pimpante pas très à cheval sur les principes; après un langoureux baiser dans l'arrière salle d'un bar - entrecoupé d'un plan sur un ventilo (ouais on devine que c'est une scène super chaude pour Ozu)- suivi d'un découchage du mari qu'il justifie auprès de sa femme par la visite chez un ami (bon dos les potes, surtout ceux qui sont mourants), Goldfish va rapidement être mise sur le ban des accusées par son entourage qui la soupçonne ouvertement ("Et si tu étais sa femme, tu réagirais comment, hein !?" - et le poisson de fondre en larmes); la femme de Sugi, elle, remarquant une trace de rouge à lèvres va décider de prendre le large et le temps de la réflexion. Sugi, tout penaud, saisit l'opportunité d'une proposition de travail en dehors de Tokyo (dans une ville plus industrielle, tu meurs) pour revenir les pieds sur terre - "une erreur est une erreur", lui rappelle son ami le plus proche, pas de quoi non plus en faire un drame - et sa femme finira par le rejoindre ; il ne s'agit pas non plus d'un réel happy end car la perspective de rester trois ans dans cet exil, si elle peut permettre au couple de se retrouver, sent également le sapin - pourraient bien finir par se tirer une balle, les deux, à l'ombre de la fumée des cheminées d'usines.

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D'autant que le film recèle tout du long des remarques assez noires : qu'est-ce que la vie d'un des 340 000 salariés de Tokyo offre? A les entendre, le travail est merdique, la paye est maigre, il n'y a que peu de perspectives de carrière, et ils ont tous le sentiment de n'être que des pions qui prennent tous les matins un train bondé ; l'un va même jusqu'à dire que leur ami qui est mort à 32 ans d'une longue maladie des poumons a peut-être eu un sort meilleur que le leur...; pour les retraités, plutôt que l'heure du repos c'est celui de la solitude qui sonne ; la société semble évoluer à 2km/h, car comme le remarque une femme âgée, il s'agit toujours bel et bien d'une société d'hommes, homme qui ne changera jamais - en gros qui passera sa vie à traquer la gorette, jouer au Mah-jong ou se pinter entre amis ; que dire encore de cette remarque, faite par la femme trompée, sur son mari qui revient un soir bourré avec deux de ses anciens camarades de guerre : ils sont vulgaires et n'ont aucune éducation, "m'étonne pas qu'avec des branle-manette pareils, on ait perdu la guerre !!". Rude constat fait par Ozu sur ce Japon qui semble avoir du mal à redémarrer et semble même plutôt avoir tendance à s'enfoncer. Il y a bien quelques trains qui passent ici ou là, toujours synonymes dans son oeuvre d'espoir, ou tout du moins de nouveau départ, mais l'ambiance générale est bien plombée. Sûrement l'un des films d'Ozu les moins commentés ou en tout cas les moins portés aux nues et sûrement également l'un des plus sombres.   (Shang - 20/07/07)


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Oui, un Ozu assez en dehors de son cursus désormais habituel par plusieurs aspects : d'abord parce qu'il s'intéresse à la jeunesse exclusivement, et non plus aux rapports entre les générations. Les vieux sont quasiment absents du film, et on se focalise sur les mésaventures de ce jeune marié infidèle et de ses rapports avec sa femme et ses camarades. L'occasion de retrouver avec bonheur ces réunions de jeunes gens filmées d'une manière immédiatement reconnaissable chez Ozu : plans généraux et ligne de fuite très centrée, cadrage bas, unicité des couleurs, une douce énergie qui circule simplement entre les personnages, on ne change pas un plan qui marche depuis des années. Toujours autant de mélancolie, voire de nostalgie, dans ces cadres, avec ces chansons braillées par des mecs un peu saouls mais très sentimentaux, avec ces grosses vannes un peu cruelles échangées sur les uns ou les autres, avec ces brusques silences graves qui laissent entrevoir des tonnes de sentiments... Les femmes s'invitent à la table, changement de moeurs, et d'ailleurs le film est très moderne dans sa façon de filmer la guerre des sexes : cette "Poisson rouge" est une jeune fille émancipée, née un peu trop tôt encore pour vraiment assumer son petit côté volage en société, mais qui ose l'adultère sans honte. La somme de détails occidentaux qui constituent les décors intérieurs montrent un Ozu comme toujours tourné vers l'extérieur, vers le monde moderne, et cette fois-ci, il ne travaille pas sur le hiatus entre tradition et modernité, mais montre simplement un Japon contemporain et libéré de son passé.

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Autre nouveauté, qui  fait figure carrément de révolution dans le cinéma si rigoriste de Ozu : les travellings, qui refont leur apparition après une très longue période de caméra fixe. Ils sont même pléthore dans la première partie, et tout à fait beaux : c'est une promenade le long d'une route de campagne où les sentiments entre les deux tourtereaux se précisent, la caméra semblant prendre la même liberté qu'eux. Le film est beaucoup plus "relâché" que les autres de Ozu ; un peu moins génial du coup, la rigueur du maître étant la clé de voûte de son esthétique. Même si on est toujours fasciné par la simplicité du trait, par ce montage d'une fluidité totale, par cette épure des sentiments qui coïncide avec celle de la forme, on est moins emballé par le scénario cette fois-ci, et par la sorte de tempête dans un verre d'eau qui consiste à prendre plus de 2h30 pour raconter une très vague bluette sentimentale. Bon, après tout, c'est un rythme, une façon de raconter, en prenant son temps, en aimant la flânerie, je ne dis pas ; mais on a connu Ozu plus fulgurant. Voilà, les réserves sont émises ; il me reste donc à préciser qu'il s'agit bien entendu d'un trésor immanquable.   (Gols - 04/07/20)

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Commentaires
H
Je ne sais pas si vous avez déjà écrit à son propos, mais comme Ozu méchamment en dehors des clous (bien que datant de 1957, époque où l'on a généralement l'impression que son œuvre s'est « stabilisée »), il y a 'Crépuscule à Tokyo', un des films les plus noirs que je connaisse, et pas seulement du fait de son titre...
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K
...et en même temps, le truc ne semble pas avoir pris une ride, le japon d'ozu ressemblant franchement à celui d'aujourd'hui
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