Les Ailes du Désir (Der Himmel über Berlin) de Wim Wenders - 1987
Sur le papier, l'histoire d'un ange qui tombe amoureux d'une trapéziste, ça peut faire fuir. On dirait le cahier des charges d'un recueil de Jacques Prévert (méchant, ça) ou d'un film de Philippe Muyl. Seulement c'est du Wenders, et alors là, les enfants, ça fait moins les marioles. Ce film a été un de ceux qui ont planté les bases de ma passion pour le ciné ; à l'époque, il m'avait enchanté, bouleversé ; et il est vrai qu'à l'époque, Wenders était LE cinéaste le plus contemporain qui soit, celui qui avait réussi à faire le pont entre le clacissisme littéraire et la modernité post-rock.
De ce côté-là, il faut bien le dire, Der Himmel über Berlin a pris un coup de vieux. Les sentences solennelles assénées par Peter Handke (co-scénariste) se reconnaissent à 10 bornes, surtout dans cette façon très particulière de transcender le quotidien à travers la mise en valeur de choses minuscules (les notes prises par les anges dans un carnet de bord), et dans cette propension inverse à rajouter du poids aux scènes attendues (le dialogue final entre Ganz et Dommartin, qu'on attend depuis deux heures, est ridicule de poses intellos, complètement dépassé). Ce sérieux crâneur alourdit malheureusement ce film qui aurait pourtant mérité un abord plus aérien. Wenders endosse sa panoplie de philosophe avec un peu trop de manières, et il faut reconnaître que le film est de ce fait très maniériste. On n'oublie jamais le cinéaste derrière ces images hyper-réfléchies, on sent bien que le gars Wim est là derrière en train de clamer, tel Valérie Lemercier dans je ne sais quelle pub : "C'est moi qui l'ai fait".
Mais une fois cette crânerie puérile acceptée, on ne peut que s'ébaubir devant la puissance de ce film, ample, entièrement tenu par la mise en scène et les idées de scénario. Berlin apparaît comme un vaste territoire auquel la caméra sert de lien : tout, Histoire, géographie, esthétique, est "homogénéisé" par les mouvements sinueux du cadre, qui rend l'espace unique. Le ciel et la terre sont réunis (sujet même du film), mais aussi les salles de rock et les faubourgs de Berlin, les places ravagées et les camps de concentration, le Mur et les gares désertes. Dans un noir et blanc de toute beauté, Wenders tresse un fil unique entre les hommes et les lieux, et Der Himmel über Berlin est avant tout un hommage à sa ville et à ses habitants. La première heure, qui voit deux anges écouter les pensées des gens qu'ils croisent, est magnifique : brouhahas de pensées, les unes légères, les autres profondes ; montages de bribes de musiques, de langues différentes, de longs monologues ou de courtes sentences, avec une apogée dans une bibliothèque où le Savoir, si cher à Wenders, sert de musique de fond.
Dans toute cette ambition parfaitement tenue, le gars arrive encore à glisser des déclarations d'amour au cinéma tout à fait bienvenues. Alekan, responsable de la photo, n'est pas là par hasard, le film citant presque directement Cocteau ; Ozu, auquel Wenders dédicace son film, est là aussi, dans cette simplicité dans les portraits. Dès lors, on pardonne aisément à Wim ses appels du pied à la postérité, ou ses baisses d'inspiration (dans la direction de Solveig Dommartin, notamment, agaçante) et on admire ce film qui sait mettre du fond sur une forme aussi ample.