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21 mars 2024

Récits d'Ellis Island (1980) de Robert Bober et Georges Perec

Goûtant tout particulièrement aux œuvres littéraires de Robert Bober, cela faisait un bail que je voulais découvrir ce doc concocté par Bob himself et Perec (à l'écriture) : Ellis Island, lieu de passage obligé pour environ 16 millions de migrants entre la fin du XIXème et le début du XXème : d'Irlande, d'Italie, de Russie, d'Allemagne (...), ces migrants fuyant souvent la misère (ou l'armée de leur pays et autres divers petits problèmes politiques locaux), ces pauvres hères, se retrouvèrent souvent traités comme du bétail dès leur sortie des cales du navire, défilant au pas de course pour passer le check-up médical (et répondre en moins de temps de temps qu'il n'en faut à faire 4 à la suite à 29 questions (Etes-vous un anarchiste ? la réponse non est fortement conseillée); en cas de problème (symbolisé visuellement par une petite croix faite fugacement à la craie sur leurs habits), retour à l'envoyeur... Même si seulement une minorité fut recalée, ce système guère humain valut à l'île, en Europe, le surnom de "l'île aux larmes" : être refoulé par cette "terre des libertés", ça la fout sacrément mal quand même... C'est à ce lieu délabré que nos deux hommes s'intéresse dans un premier temps, suivant un étrange guide-scout qui déverse à longueur de journées ses mêmes petites anecdotes foireuses sur le lieu (les "touristes" étant généralement composé de descendants de migrants) ; l'endroit, longtemps abandonné, fait peine à voir mais rend compte, en un certain sens, de sa "sale" réputation de tri humain à grande échelle... S'il s'agit pour Bober de revenir sur un lieu que fréquenta en son temps l'un de ses parents, il symbolise pour Perec un lieu de séparation, de division, et prend forcément dans ce XXème siècle marqué par l'Holocauste une dimension toute particulière : des hommes, souvent sans le sou,  pris de haut à peine débarqués,  se retrouvent en ce lieu, sans repère, ayant tout laissé derrière eux, prêts à croire aux fameux rêve américain... Rêve américain qui rime le plus souvent avec exploitation du travail humain... Mais bon, ce fut un choix, celui de l'Amérique...

Agrémentant le reportage de commentaires mettant en perspective cette (més)aventure humaine, truffant le parcours de la visite sur Ellis Island de photos d'époque, nos deux amis (en particulier lors de la première partie du doc intitulée "Traces") tentent de rendre compte de la dureté de ce lieu de passage qui vit passer certaines journées plusieurs milliers de personnes - gare à la maladie déclarée (notamment le fameux trachome qui s'attaque aux yeux et qui était automatiquement dépisté) ; un lieu spartiate, une sorte de purgatoire, qui pouvait ouvrir ses portes sur l'enfer américain ou sur l'enfer du retour chez soi... Dans la seconde partie du doc ("Memories"), on retrouve une demi-douzaine de témoins (la plupart d'origine juive ou italienne) qui racontent leur parcours du combattant pauvre ; Perec se retrouve souvent à hurler comme un sourd pour poser une question à nos vieux de la vieille et nos anciens d'Ellis d'exposer dans le détail leur arrivée souvent brutale, leur façon éventuelle de gruger le corps médical ou encore la période de taff à la dure qui le plus souvent s'en suivit (quand tu es pauvre, comme dit l'un d'eux, tu restes pauvre, sauf à vouloir exploiter les pauvres - bonne morale du monde moderne). Bober et Perec, sous le regard quelque peu fuyant de la Statue de la Liberté qui aurait mieux fait de cacher sa torche sous sa toge (et sur celui des tours jumelles qui, elles, depuis, se sont défilées...), tente tant bien que mal de faire revivre ce lieu infernal grouillant en son temps d'une humanité en perdition, en recherche d'un ailleurs... Une terre d'accueil aux allures de paillasson cloutée qui endossa le rôle peu glorieux de "trier" en son temps les moins faibles. Une histoire peu reluisante minutieusement mise en lumière par deux hommes qui font intelligemment œuvre de mémoire. Hell(i)'s Island.

 

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