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22 novembre 2023

LIVRE : Justine ou les Malheurs de la vertu de Donatien Alphonse François de Sade - 1791

7274d64a8e523df43a7c0bc2c645b66dc5328512b1cb6ed471fc740eb23e126bUn peu de cul,, que diable, aucune raison de se laisser aller. Cette deuxième version des pendables aventures de Justine, qui en comptera trois, est selon moi la plus aboutie, la première (Les Infortunes de la vertu) étant assez maladroite, la troisième (La nouvelle Justine) mille fois trop longue. Ici, c'est la juste dose, et on peut apprécier pleinement les sodomies, flagellations, dépucelages, tortures, incestes, meurtres, partouzes et autres jeux dont va être victime cette pauvre férue de vertu lors de sa traversée du monde de perversion qu'est l'esprit du bon Marquis. L'histoire ? Il s'en fout, et le roman est totalement déséquilibré de ce point de vue-là : on part sur les aventures de deux sœurs qui vont affronter le monde, l'une honnête et pure, l'autre dépravée et immorale. La seconde croise la route d'une certaine Thérèse, et boum : celle-ci enchaine sur le récit de sa vie, roman dans le roman qui va faire en fin de compte tout le livre... Au dernier moment, Sade se souvient qu'il doit raconter la vie d'une certaine Justine, qu'à cela ne tienne : on découvre que Thérèse est en fait Justine, et puis voilà. Non, ce qui l'intéresse vraiment, ce sont deux choses : d'une part la philosophie, notamment la question de l'éducation et de la nature, de la morale et du vice, de ce qui est interdit ou autorisé, de l'inanité de la religion et des lois qu'elle oblige à respecter arbitrairement ; et d'autre part, la perversion, qu'elle soit sexuelle ou morale.

Justine ou les Malheurs de la vertu est donc un roman qui va faire alterner les deux tendances. Soit donc Thérèse/Justine, pauvre jeune fille vierge et pure, n'ayant en tête que la vertu et la foi, qui va être confrontée à un catalogue de monstres tout de vices. Quand elle parvient à s'échapper d'un cloaque, c'est pour tomber dans les griffes d'un être pire encore, prêtre, bourgeois, faux dévot ou noble corrompu. La liste des sévices dont elle et ses consœurs seront victimes est infinie. Dans des pages d'une gourmandise même pas déguisée, Sade y laisse libre cours à son imagination la plus torve, et ne cache rien des infinies nuances de sa perversion. Le gars aime les extrêmes, et rien, absolument rien ne lui fait peur. Il trousse des petites situations qui sont autant de scénarios pour que s'exprime ses désirs les plus barrés, mélangeant dans un joyeux délire les classes sociales, les âges, les sexes, les physiques. Ce sont toujours les hommes, riches et puissants, qui exercent leur perversion sur les femmes (ou les jeunes garçons), celles-ci leur servant de victimes sur lesquelles il peuvent se défouler tout à loisir ; et tant mieux si elles supplient, si elles brandissent la vertu ou le bon sens pour se défendre : les coups de baguette ou les dépravations sexuelles n'en seront que plus cruelles et plus jouissives. On pourrait penser que Sade critique ces comportements déviants, ces êtres complètement abandonnés à leurs instincts les plus vils ; et c'est vrai que de temps en temps, il se souvient qu'il doit éviter le cachot, et il note que ces messieurs sont immondes et condamnables, qu'il vaut mieux être vertueux et catholique. Mais ça ne trompe personne : le Marquis jouit de toute évidence à imaginer ces scénarios infernaux, et à les rendre concrets par la littérature.

La preuve ; c'est que les longs monologues de ces messieurs, une fois leurs désirs assouvis, sont bien plus passionnants et soutenus que les maigres protestations de Justine. La philosophie de Sade est un exemple d'éloquence : c'est rempli de sophismes, de faux bon sens, mais c'est fascinant et convaincant. Son truc, c'est que la vertu brandie partout est toute relative, que ce qui est considéré comme bien ici peut être condamné là-bas, et vice-versa ; que toute notre morale est bâtie sur des conventions humaines et que la nature la condamne et la dément sans arrêt ; que la femme, étant inférieure, doit servir nos besoins ; et que donc la tromperie, la violence, la domination sexuelle, l'inceste, la pédophilie, le meurtre, sont des choses tout à fait recommandables. Voilà qui devrait faire frémir les féministes d'aujourd'hui, diable, mais pas que : 250 ans après, le texte n'a absolument rien perdu de sa provocation, de son horreur, de son scandale. On suit ces démonstrations terrassé, parce que Sade parvient à trouver une raison au Mal absolu, et qu'il le fait avec une logique implacable. Oui, l'injustice est partout, et si Dieu existe, alors c'est qu'il a voulu cette injustice ; il importe donc d'obéir à notre Créateur ; et s'il n'existe pas, alors il nous faut obéir à la nature privée de Dieu, c'est-à-dire à la loi du plus fort. On voit où une telle philosophie peut mener (ce que Pasolini a bien compris) : elle est ici portée à son point d’incandescence, l'écriture de Sade, implacable et radicale, joyeuse dans l'abjection, portant très loin le cynisme et la démonstration la plus odieuse. Bon, c'est génial, osons le mot, mais à ne pas mettre entre toutes les mains, voilà qui est sûr.

Commentaires
S
La "Nouvelle Justine" m'a imprimé à vie des phrases du genre : "Il possédait le plus beau vit du monde, treize pouces de long, huit et demi de pourtour", mais il est vrai que la langue du Donatien est encore mieux montée. Le Chamfort du gonzo.
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