Jordan le Révolté (Lucky Jordan) (1942) de Frank Tuttle

On n'est pas si loin du film noir avec cette petite réalisation de Tuttle qui en pleine guerre met en scène un héros pour le moins craignos... C'est Alan Ladd qui endosse le rôle de cette petite crapule, volontiers misogyne, volontiers manipulateur même avec les vieilles dames soulardes (quand on a besoin de la caution d'une mère pour éviter l'armée, on est prêt à toutes les bassesses), volontiers anti-patriotes - avec option de traiter avec l'ennemi s'il y a moyen de se faire du blé... Bref c'est un beau salaud et Ladd le campe parfaitement avec le petit air suffisant qui est le sien... Gangster bien placé, il tente d'échapper comme il le peut à l'appel de l'armée... Malgré ses magouilles, il rejoint un camp militaire mais continue de jouer au gros branleur... Il y fait la connaissance de la sympathique Helen Walker qui est plutôt révulsée par cet homme sans principe ni morale... Ladd s'échappe du camp, la kidnappe au passage et rentre en possession, par hasard, d'un document classé secret-défense... Il se retrouve avec tout le monde à ses trousses (des mafieux, des espions, des hommes du gouvernement...) mais espère toujours parvenir à récupérer un petit pactole en troquant ce fameux document... Connaitra-t-il la foudre du ciel ou la rédemption est-elle toujours possible pour les crapules repentis ?...

On n'est pas dans le film du siècle mais ce portrait d'un traître à sa patrie qui use et abuse de son côté embobineur est tout de même un poil osé... Ladd, sans vergogne, trompe son monde, mais parvient tout de même à se faire prendre sous l'aile d'une vieille dame solitaire, à ne pas laisser totalement indifférent l'Helen (patriarcat, quand tu nous tiens... Et pourtant Dieu sait que notre amie Helen n'a que mépris et dédain pour tout traître à sa patrie), et à filer des roustes à pires mafieux que lui... Du coup, jusqu'au bout, on ne sait pas trop quel sort Tuttle va finir par lui réserver... En attendant ce dénouement assez tendu dans ce jardin botanique et ces serres immenses bourrés d'espion et de gars du FBI (Hitchcock se serait régalé), on assiste à quelques scènes assez bien rendues : une fuite en avant et en bagnole de notre Ladd qui grille tout le monde, une escapade nocturne avec la belle Helen en pleine nature qui a son charme et quelques bagarres qui claquent. On prend également un certain plaisir à suivre quelques personnages plus ou moins torves : la vieille dame alcoolique au grand coeur (Mabel Paige), le mafieux traître à la bouche tordue (Sheldon Leonard), la secrétaire peu farouche (Marie McDonald qui affectionne plus la position horizontale qu'assise). Helen Walker, avec son petit air futé et ses principes (malgré tout), apporte aussi un peu de vent frais dans cette histoire où un homme sans foi ni loi anime les débats. Bref, sans crier au génie, on affectionne ce genre de petite production qui se donne certains moyens pour nous livrer un final indécis et avec une pointe de suspense - à défaut d'être ultra haletant (Frank n'est pas Alfred, non). Un honnête lancer franc.