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Shangols
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27 septembre 2023

L'Été dernier (2023) de Catherine Breillat

Il faut en avoir dans la culotte pour encore oser ce genre de film mettant en scène une belle-mère couchant avec son beau-fils (de dix-sept ans, mineur donc, on est d'accord) : cela tombe bien, la Catherine a toujours eu des cojones çacomme pour tenter de faire des films, avec qui plus est une certaine intelligence, sur des sujets audacieux - sujets sur lesquels d'autres se seraient lamentablement et graveleusement cassé les dents. Le pitch est clair comme de l'eau de roche : le mari de Léa Drucker ramène à la maison le fils qu'il avait d'un précédent mariage ; le gamin a tout du sale gosse, envoie chier son père à l'envi, ne fait rien pour s'intégrer dans cette nouvelle famille (même s'il s'entend avec les deux gamines adoptées précédemment par le couple). Léa tente de le dompter et... sombre soudainement à son charme. N'en dites pas plus Mr Mortez, non, n'en dites pas plus.

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Il y a deux axes que Breillat parvient à traiter avec une belle finesse : il y a, d'une part, ce monde des adultes, ce monde sur la pente douce de la vieillesse, qui va particulièrement briller ici de ses pleins feux par son hypocrisie. Léa, on voit bien que cela est plus fort qu'elle, on voit bien qu'elle n'a pas vraiment d'excuses valables (oui son mari, souvent absent, est plan-plan au lit quand il parvient à faire un petit roulé-boulé sur son épouse ; oui la Léa n'est pas si loin de la ménopause... mais tout cela est franchement anecdotique par rapport à son craquage), on voit bien qu'elle sombre corps et corps auprès de ce gamin, un attraction sans fond, irrésistible, presque irrationnelle, suicidaire, Léa donc disais-je, devra bien un jour, qu'elle le veuille ou non, rendre des comptes... Tout avouer, pour détruire sa famille, renier ses acquis (comme le chante si justement Jonathan Cohen), risquer de tout perdre ? Ça, ce n'est pas envisageable et seule cette merveilleuse valeur refuge des adultes qu'est l'hypocrisie, le mensonge lui permettra de sauver la face... Des couleuvres, dit-elle au gamin, tu apprendras toi aussi un jour à en avaler : être adulte, c'est la leçon qu'elle lui fait, qu'elle lui donne, ce n'est pas faire ce que l'on veut : c'est apprendre à mentir, apprendre à faire semblant, pour parvenir à garder un petit ersatz de bonheur. Pourra-t-elle tromper la justice ? Avec de l'argent, aujourd'hui, tout est possible. Son mari sera-t-il dupe ? La dernière scène (magnifique fondu au noir qui fait briller un ultime petit objet très symbolique...) répondra intelligemment à cette question : l'hypocrisie chez les adultes, c'est plus qu'un mode de vie, c'est un mode de survie.

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D'autre part, il y a bien sûr ce traitement du gamin : que veut-il foncièrement, que recherche-t-il, est-il honnête, profiteur, est-il un monstre en herbe ? On voit bien là aussi que Breillat, après nous avoir montré tous les petits côtés pas vraiment ragoutants du gosse (irrespectueux, égoïste, ptit con, menteur...), va peu à peu nous amener sur une piste plus subtile : ce gosse, comme tout les autres gosses sans doute, ne cherche qu'un peu de reconnaissance ; celle de son père (non, ce n'est pas qu'un menteur, qu'un truqueur : il a encore quelque chose de pur en lui) et celle de sa belle-mère (il est digne d'être aimé en laissant à ce dernier mot toute son ambiguïté). Peut-il y parvenir, peut-il gagner, peut-on résolument lutter à armes égales contre les adultes, autant de points que le film de Breillat soulève à bras le corps et tente de traiter. Du même coup, cette relation véritablement scandaleuse qui est le point de départ du film permet à Breillat d'explorer des pistes parallèles pointues : à partir d'un sujet brulant, épineux, casse-gueule, la cinéaste, tout en le traitant frontalement, parvient à illustrer des aspects beaucoup plus intéressants sur le monde (duplice) des adultes et sur celui (sensible) des ados. Un été chaud mais finaud. Breillat s'impose définitivement comme la plus jeune et la plus rebelle de nos cinéastes.  (Shang - 27/09/23)

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Dans mes bras, mon gars Shang ! Unissons nos voix pour clamer la grandeur et l'intelligence du film le plus audacieux de l'année, celui qui devrait faire s'étouffer les tenants de l'ordre moral et les donneurs de coups de règle sur les doigts. Breillat perpétue en effet une tradition qu'elle a largement contribué à forger, ce cinéma qui aborde sainement et en pleine santé les sujets les plus tabous. Oui, il est "question" ici du détournement de mineur, d'une femme sûrement un peu manipulatrice qui couche avec un jeune garçon sûrement un peu crétin, du vieillissement qui trouble les âmes autant qu'il le fait avec les hormones de l’adolescence, du flou sexuel, du désir d'être aimée et désirée une dernière fois, de la chaleur de l'été qui réveille les libidos... mais il est surtout question d'un cas, d'une femme, d'un garçon, Breillat évitant à tout prix le film à thèse pour débat de fin de soirée. L'Été dernier est un film extraordinairement simple, lumineux même pourrait-on dire à la vue de cette splendide photo estivale qui semble rendre concrète la nature autant que les petits frémissements du cœur : une cinquantenaire est attirée sexuellement par un gosse, et lui est attirée par elle. Tout est vu du côté de la femme, jouée par l'extraordinaire Léa Drucker, un bloc d'opacité au visage froid laissant apparaître  de ci de là, une larme, un frisson, ou une jouissance (géniales scènes de sexe, que je n'ai pas souvenir d'avoir vu filmées aussi pudiquement et aussi crûment à la fois, de façon aussi réaliste aussi). Ce regard féminin et direct sur le désir et sur cet "alien" que représente l'ado (Samuel Kircher, également louable) fait toute l’ambiguïté du scénario, d'autant que la protagoniste n'est pas blanche comme neige. Elle sait aussi se faire gravement manipulatrice et dominatrice. L'important est que ça ne se sache pas, mantra de maints prédateurs sexuels, qui trouve ici sa plus belle représentation.

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Alors oui, on peut avoir une lecture psychanalytique du film, comme le fait justement mon camarade. Mais on peut aussi admirer la grande intelligence de filmage, cette série de gros plans incroyable qui amène aux baisers, ces champs-contre-champs de toute beauté (tout le début), ces relations pleines de sous-entendus exprimées par un montage lent et superbe, ce bloc de déni qu'est Drucker dès qu'elle se sent acculée. Et aussi ces personnages secondaires, qui finalement représentent bien la posture adulte par rapport au drame de l'inceste : le mari qui ne croit pas son fils (Rabourdin en cocu pitoyable) ou la sœur qui pardonne (Courau en déplaisante immature). Avec ces portraits d'adultes incompétents ou manipulateurs, on suit le film avec un malaise croissant, convaincu peu à peu que c'est le gosse qui est la victime dans tout ça (alors que, adroitement, audacieusement, Breillat nous a fait croire à sa culpabilité pendant une grande partie du truc). Elle renverse toutes les valeurs et toutes les convictions du spectateur par rapport à ce "problème", par la seule grâce de sa mise en scène hyper-précise et de ses acteurs au-delà de l'éloge. Un des plus beaux films de Breillat, pour sûr.   (Gols - 27/09/23)

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Commentaires
M
Quand on donne envie d'aller voir un film, c'est une critique réussie, non ? Yè ! En attendant de sortir de mon antre, TV5 Monde propose "A ma soeur" et "Une vieille maîtresse". L'occasion rêvé de découvrir Catherine Breillat. Encore une fois, les Shangols men tape dans le mille et, moi, je c'est le bi que je vous tape. (A distance, vous risquez rien, même pas d'avoir un chouia de bave sur les joues.) Yè !<br /> <br /> <br /> <br /> A propos de "cojones", Dartsofpleasure n'aurait pas tort. Qu'elle se rassure, les tauliers ont prouvé qu'ils n'étaient ni misogynes ni virilistes. Lisez d'autres critiques, entre autre celle à propos d'un livre sur Tippie Hedren, Melanie Griffith et la fille et petite-fille d'icelles, et vous verrez. Faudra d'ailleurs que je réagisse au compte rendu de ce livre, bicoze vous m'avez pas convaincu.<br /> <br /> <br /> <br /> Cela dit, au lieu de "Catherine a toujours eu des cojones ça comme", vous pourriez écrire "Un courage gros comme ça", "Un courage à niquer les osses de ses morts" (vulgaire mais expressif, non ?), "un courage si hénaurme que la tour Eiffel va rhabiller" ou "un courage que lui envierait Besson Luc, s'il faisait du cinéma et s'il savait ce qu'est le courage, ce gros connard".<br /> <br /> <br /> <br /> Suggestions pas terribles, certes, mais je vous fais confiance pour trouver mieux.<br /> <br /> <br /> <br /> A bientôt, mes bô.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> P. S. Pourquoi l'allusion à Michel Ciment ? Serait-ce un sale phallocrate ?
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S
Oui mais des "ovaires çacomme" ça sonne moins bien je trouve. Le problème avec ce genre d'expressions dites imagées commence quand les gens les prennent au premier degré. Et là forcément, boum, ça tombe. Me voilà beauf, viriliste et misogyne d'un coup. Les couilles m'en tombent. Mais je sais que vous ne pensez pas à mâle (...) et vous remercie tout de même au passage pour les compliments.
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D
Faut arrêter avec ce compliment foireux et surtout très mec beauf de dire d'une femme qu'elle a des couilles pour être estimée. C'est viriliste et miso. Pas besoin d'être feministe pour le comprendre. Même Michel Ciment n'oserait pas... <br /> <br /> Vos critiques d'habitude percutantes, souvent fines et exigeantes ne méritent pas ça.
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