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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
3 décembre 2023

Yannick de Quentin Dupieux - 2023

Sans titre

Avec le budget photocopies de Oppenheimer, il est possible de réaliser un film. Et je dirais un meilleur film que le sus-cité, toute comparaison s'avérant certes vaine entre lui et Yannick, minuscule machin de quasi-contrebande réalisé par l'ineffable Quentin Dupieux. Lieu unique, une poignée d'acteurs, un tournage en accéléré, un scénario bricolé sur un coin de table, et voilà 70 minutes ovniesques, dont on ne sait trop (c'est la marque du gars) si elles sont géniales ou nulles. Dupieux creuse encore cette sorte "d'humour sans humour" qui est son ton depuis toujours. Cette fois, il le teinte toutefois d'une touchante mélancolie, et même d'un vernis politique (ou presque) qui surprend et ravit. Ce petit aspect un peu plus ancré dans notre monde fonctionne très bien, surtout que le bougre manie ça avec modestie et précaution. Soit donc un petit mec de Melun venu un soir trouver un peu de délassement au théâtre parisien, où on joue Le Cocu, comédie de boulevard bien moisie. Mais voilà : la pièce lui déplait, au point qu'il interrompt la représentation pour râler. On le traite comme de la merde, le spectacle est médiocre, les acteurs cachetonnent, il lui faut prendre les choses en main. Devant le mépris suffisant des acteurs du spectacle et, à travers eux, de la société toute entière, il va donc pendant plusieurs heures, flingue en main, prendre en otage le public et les comédiens, et prendre enfin la parole au nom des sans-dents en écrivant lu-même la pièce du soir.

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Il y a quelque chose de délicieux à voir ce petit mec transgresser le tabou (interrompre la convention théâtrale), se lever et haranguer les (mauvais) artistes qui lui font perdre sa soirée. On est d'abord entièrement de son côté, et contre ces trois acteurs jouant comme des fonctionnaires. Puis peu à peu, notre opinion s'inverse, devant l'humour douteux du gars, devant son manque de discernement, devant son sans-gêne. On ne cesse ainsi d'avoir tour à tour de l'admiration puis du mépris pour Yannick, à l'instar du public qu'il tient en joue. Raphaël Quenard, décidément grand, donne sa gouaille et son jeu très original à ce glorieux beauf, à cette petite frappe touchante, et il fait beaucoup pour le plaisir pris au film. Mais Pio Marmaï est tout aussi excellent, avec son sang-froid détestable qui se transforme peu à peu en haine franche et en violence quand les rapports de force s'inversent. Mais c'est aussi le ton sans-pareil de Dupieux qui fait merveille, travaillant sur des ruptures de rythme impossibles, sur des dialogues absurdes, sur un sens de la situation qui va de soi, et surtout sur une absence de forfanterie qui réchauffe l'âme : quand il n'y a plus rien à dire (et il n'y a pas grand-chose à dire sur le sujet, on n'est pas dans le grand film à thèse), il termine, un point c'est tout, et tant pis si on est à peine à une heure de métrage. Cette sobriété fait bien plaisir, et fait oublier la légèreté du film, son manque d'importance même (revendiqué d'ailleurs), et ses défauts (Blanche Gardin, fade, des longueurs au milieu). Très joli. (Gols 09/08/23)

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Il faut reconnaître avant tout, il est vrai, le grand plaisir de voir une nouvelle facette du jeu de Quenard, grande révélation de l'année. Il a de l'aplomb, notre homme, certes, ne se laisse pas mener en bateau facilement - il sait ce qu'il veut, lui, au moins, quand l'ensemble des spectateurs reste totalement amorphe devant cette merdouille vaudevilesque - et parvient dans les derniers instants à donner à Dupieux un "regard" qui vrille définitivement le coeur ; il sera allé, le gars, tout comme Dupieux d'ailleurs, jusqu'au bout de sa propre logique (ou de son propre délire, c'est selon) et quelle que soit l'issue, finalement, il sera parvenu, l'espace d'un instant, de quelques secondes peut-être, à atteindre son but, son petit nirvana à lui, son émotion tant recherchée... Ce n'est pas grand-chose, mais c'est tout, un peu comme l'autre qui voulait jouer du piano debout : si ses actes sont un poil discutables dans la forme (un flingue, c'est mal), comment vouloir lui donner tort en quelque sorte dans le fond (quand le spectateur ne se fait plus simple spectre mais devient l'acteur principal, que dis-je, le metteur en scène de la représentation : il fallait l'esprit aiguisé et pernicieux de Dupieux pour parvenir à ce malicieux retournement des choses, à ce nouveau rebattage des cartes). Face à lui, Marmaï, très à l'aise dans le rôle d'un mauvais comédien (je dis ça... oui, c'est un peu facile) qui se révèle, dans sa frustration d'artiste réduit à cachetonner, le personnage sûrement le plus inquiétant et le plus dangereux de l'histoire (un artiste blessé dans son égo serait-il pire qu'un spectateur déçu ? Bonne question) et Gardin qui reprend avec vigueur le flambeau de ces actrices à encéphalogramme plat de Yolande Moreau à Marina Foïs - il en faut, dans une moindre mesure, des bougies, pour illuminer un spectacle... Bon. Alors oui, on reconnaît encore ici le fameux syndrome Blier, vingt première minutes au taquet, grinçantes, qui s’essoufflent un peu en cours de route (Quenard doit lui aussi prendre un second souffle pour imposer ses vues : son ironie s'assagit un poil), mais avouons tout de même que sur une heure, Dupieux nous sert une petite saynète cinématographique plus rafraichissante et audacieuse que 99% des comédies françaises. Quentin, Quenard, que dire encore ? Bravo - et des deux mains. (Shang 03/12/23)

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Commentaires
S
Quenard, époustouflant dans "Chien de la casse", commence dès ici à user un jeu que je trouvais pourtant si particulier et si revigorant dans le film de Durand. Ce "Yannick"... j'ai même pas envie de me fatiguer à en dire du mal. Même si les cinq dernières minutes sauvent les cinquante-cinq premières où j'étais à deux doigts de me lever moi aussi de mon siège pour "engueuler le spectacle".
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S
Film sans cinéma, sans budget, sans grand chose. Il a tout compris à l'époque Dupieux, et tout le monde tombe dans le piège... Malin le mec !
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