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Shangols
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11 octobre 2023

Désordres (Unrueh) (2023) de Cyril Schäublin

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Cette œuvre de Schäublin est une petite merveille de précision englobant avec un calme et une sérénité absolus enfer capitaliste et mouvement anarchiste. C'est sûrement dans la forme que l’œuvre émerveille d'abord, par ces cadres d'une fixité absolue mais où les êtres en extérieur, coupés souvent à la taille ou au niveau du genou (...), filmés de loin, semblent un peu écrasés ou, enfermés dans un coin (ces dialogues qui démarrent et qui nous font chercher dans le cadre quel est le petit groupe de personnes qui parle), apparaissent comme de petites pièces d'un puzzle pris dans la machinerie infernale de leur temps. Tous les échanges se passent dans une politesse exacerbée et mettent encore plus en relief la violence de cette époque : les ouvriers dans cette fabrique de montres (vous saurez, après avoir vu ce film, exactement comment fabriquer une montre : vous deviendrez suisse, en quelque sorte, malgré vous) subissent une pression de leurs supérieurs (tout est chronométré à la seconde, fordiennement, de l'assemblage des pièces ou mouvement des ouvriers dans l'usine ; toute appartenance au mouvement anarchiste est également synonyme de renvoi - voilà), subissent une pression de la cité elle-même (ne pas payer de taxes vous enlève tout droit de vote ou peut vous amener carrément en prison... où vous aurez le droit, pendant ces quelques jours d'amener votre travail dans votre cellule... rien ne se perd) mais continuent sans faire de bruit leur petit bonhomme de chemin... et de croire aux idéaux anarchistes (ce sont les femmes, d'ailleurs, qui mènent le plus souvent le train, face à ce monde essentiellement contrôlé par des hommes, du patron de l'usine à ces deux guignols de gendarmes). L'anarchisme (par le biais du personnage de Pyotr Kropotkin et des réseaux fortement développés dans cette petite région suisse) est l'autre thématique fortement développée dans ce film mais là encore sans cri ni violence quelconque (un chant, oui, qui répond simplement dans le film à un autre chant nationaliste - autre thème évoqué ici par la bande) ; ces deux mouvements, capitaliste et anarchiste, tentent à leur façon de s'adapter et de tirer profit des évolutions progressives de leur temps (le télégraphe, la photographie...) et cohabitent sans véritables heurts. Si on peut être effrayé par le contrôle permanent des employés, moralement et physiquement, on se retrouve plus ou moins rassuré par la foi et l'énergie qu'ils mettent à se rallier à la cause anarchiste, chacun tentant d'apporter son écot (à coup de pièce de cinq centimes) et de transmettre sa philosophie (les boîtes d'allumettes que l'on laisse à chaque gens qu'on rencontre (généralement des bourgeois...) et sur lesquelles sont inscrits des messages guère innocents... - pour tenter de mettre forcément un peu de feu dans les âmes).

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Dans ce monde en pente douce, où chacun, à demi-mot, tente de gagner quelques sous sans perdre totalement son âme, dans ce monde où le facteur temps est omniprésent (il y a pas moins de quatre heures différentes dans la ville, avec chacune leur valeur - le temps de l'usine étant forcément en avance par rapport au temps du télégraphe), est-il véritabelement possible d'échapper totalement à cette petite mécanique quotidienne qui rythme ces vies ? Schäublin, pour le coup, prend tout son temps pour tramer son histoire avec ces multiples personnages et en particulier, celle qui se noue entre ce fameux Kropotkin et une des ouvrières ; simple jeu de regard entendu, de paroles échangées qui semblent traduire une attirance évidente... Mais pourront-ils, dans ce monde sous contrôle, vivre leur affection, pourront-ils prendre le temps, c'est bien le mot qui convient pour l'heure, de s'aimer... ? C'est dans un magnifique et ultime dernier plan que le cinéaste apportera finement une réponse, concluant un film qui, mené sur un rythme plus lent que l'enfer, sur un rythme suisse quoi, trouve magnifiquement, seconde après seconde, chaque tic après chaque tac, le petit chemin de nos cœurs (et dieu sait qu'on en a besoin en ces temps, ma bonne dame). Merveilleux emballage sans emballement - de temps. Un film qui se montre, de toute évidence.  (Shang - 08/08/23)

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Autant certains des choix de mon gars Shang me laissent perplexe, autant, de temps en temps, je lui lècherais bien les bottes pour m'avoir fait découvrir des petites merveilles ignorées. C'est indéniablement le cas avec cet essai d'une délicatesse totale, le film le plus politique de l'année en tout cas. Avec un sens de la mesure incroyable, avec un raffinement qu'on ne peut guère qualifier autrement que... suisse, Schaublin se questionne sur une des constantes marxistes les plus connues : les rapports entre le temps et l'argent, soit entre la vie et le capitalisme. Mais plutôt que de fabriquer un pamphlet indigné à la Ken Loach, notre ami helvète filme la montée parallèle du Grand Capital et de l'anarchisme dans un calme parfait : dialogues murmurés, plans d'une immobilité olympienne, cadres donnant toute sa place à la nature verte et bien rangée du coin. Même les conflits (licenciements abusifs ou prises de bec idéologiques) sont traitées avec la politesse et la sérénité propres à cette culture étrange. Il en résulte un film au rythme prodigieux, qui arrive à parler de choses capitales avec calme et profondeur. Calme qui n'exclut pas la colère : on sent Schaublin bien remonté contre cette société, représentée par la fabrique de montres, insensibilisée à la misère humaine, censurant sans vergogne les idées de ses employés. On devine devant cette politesse exquise entre patrons en employés un fossé qui se creuse de plus en plus : si ces derniers sont encore plus ou moins passifs devant les injustices perpétrées par les premiers, la violence est sous-jacente, explosant dans ces cadres où les êtres humains sont renvoyés dans un petit coin de l'écran, laissant la nature s'exprimer dans tout son expressionnisme.

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Le filmage distancé, ainsi que le jeu des acteurs, dirigés vers l'inexpressivité, expriment plus fortement que n'importe quel brulot la colère qui s'en vient. Ces plans lointains rompent avec ceux, vraiment sublimes, montrant en gros plans les gestes du travail, surtout aussi minutieux que le montage d'une montre. Là, on voit bien ce que le film doit au documentaire, et ce qu"il dit du savoir-faire ouvrier opposé aux possessions du Capital. Le tout est complété par un petit ton kafkaïen délicieux, avec ces quatre temps différents au sein de la commune, avec ces votes absurdes pour décider si on accepte tel plan de la ville, avec ces flics débonnaires plantés en des endroits improbables, avec ces dialogues interrompus pour les pauses photo. Tout ça pourrait être d'un chiant avéré, c'est au contraire constamment génial, par l'intelligence et la beauté de ce qui nous est montré par un cinéaste qui sait toujours exactement où se tenir par rapport à cette histoire : ni trop près pour ne pas être gagné par une révolte improductive, ni trop loin pour rester malgré tout dans l'humain. Le marxisme exprimé en 93 minutes, il fallait le faire.  (Gols - 11/10/23)

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