Femmes en Miroir (Kagami no onnatachi) (2002) de Kijû Yoshida

Souviens-toi, à Hiroshima... On fait dans l'austérité brute de décoffrage avec cette ultime œuvre de l'ami Yoshida qui aura fait tout au long de sa carrière peu de concession à son sens strict du cadre et de l'épure. Il s'agit là d'un film de femmes entre elles, trois femmes dont le destin a littéralement été atomisé par la bombe, sur le coup ou par la suite. A ma gauche il y a la mère, Ai (hi !), qui était à Hiroshima lorsque la bombe a (...), dans un abri salutaire... Elle se souvient de, revient sur les traces du, et explore aux cotés de sa (prétendue ?) fille et de sa petite-fille un véritable voyage dans le passé. Au centre, il y a donc la fille, Masako, qui a abandonné sa propre fille à sa naissance sans plus donner signe de vie ; comme elle est en plus amnésique pas facile de dire lorsqu'elle réapparait 24 ans plus tard, comme tombée du ciel (comme la bombe, oui), s'il s'agit véritablement de la fille de... Elle explore également le passé, tente de faire remonter des traces de souvenirs, pour savoir si elle est une femme indue (elle s'accuse elle-même d'être une meurtrière) ou simplement une femme perdue... Enfin, à ma droite il y a la petite-fille, Natsuki qui revient tout juste des Etats-Unis (comme la bombe, oui - bon, ça va, on ne va pas non plus la voir partout... ben quand même) : elle revient pour faire la connaissance de cette mère disparue, (ou pas, en fait), la jeune fille, the little girl (comme la bombe ? - ben presque...) semblant plus être la recherche, comme on dit, de son identité propre que de cette mère évanouie dans la nature. Trois femmes qui tentent de renouer les racines d'une famille qui a volé en éclat il y a plusieurs années déjà...

Je vous l'annonce tout de suite, la mise en scène est ultra sobre, les décors maigres, le rythme plus lent qu'un ascenseur cassé... Il faut se retrousser les manches pour affronter cet ultime opus de Yoshida qui se concentre sur ces femmes qui semblent avoir déjà fait le deuil de pans entiers de leur passé, de leur personnalité... Les trois femmes, d'un commun accord, retournent dans la ville d'Hiroshima sans trop savoir ce qu'elles veulent, ce qu'elles souhaitent, ce qu'elles peuvent y trouver... Les souvenirs remontent peu à peu à la surface, entre tragédie (un père irradié ?), rencontres (le docteur Kawase, le pater familias, exhumé par une journaliste), trauma (un infanticide ?)... La mère parvient à faire enfin quelques confessions sur ce passé douloureux, sa fille essaie de voir plus clair sur ses souvenirs confus, traumatisants (assassine ou victime ?), sa petite-fille tente de remonter le fil de l'Histoire, de son histoire, elle qui s'est exilée aux States dans une sorte de fuite en avant... On tâtonne, on s'approche, on s'apprivoise, chacune tente de gérer à sa façon tous les dégâts qu'a provoqué cette bombe initiale. Rien ne sera au final totalement résolu tant la déflagration de cette bombe est impossible à estimer (des miroirs comme des vies brisés à jamais (miroirs qui apparaissent dans chacun des appartements), une génération fendue pour toujours, ainsi que la suivante, et la suivante...), une déflagration qui continue en quelque sorte sa route ; mais au moins, au cours de ce voyage au centre de l'atome, de l'atone, chacune de ses femmes aura tenté de trouver chez l'autre une oreille, un peu d'apaisement, un soupçon d'empathie. A défaut de pouvoir se reconstruire, on peut toujours essayer de comprendre ce qui est à la source des problèmes... Yoshida livre un film qui ne sent pas la joie de vivre par tous les bouts mais livre un histoire de famille intimement liée à l'histoire de la bombe avec une grande finesse d'esprit et un tact infernal. Exigeant mais plein de petits éclats de sombre et d'humaine vérité.

Souviens-toi Yoshida