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19 avril 2020

Querelle de Rainer Werner Fassbinder - 1982

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Vous êtes plutôt cuir ? La vue d'une casquette noire et d'une moustache vous fait frémir ? Vous cliquez sans arrêt sur la catégorie "marinières et moiteur" dans Youporn ? Querelle est fait pour vous. Pour son ultime film, Fassbinder envoie les watts et réalise le film total sur le désir homosexuel, transformant ses pulsions sexuelles en un opéra fantasmatique qui partagera le public : il y aura ceux qui trouveront ces postures ridicules, d'un kitsch achevé ; et ceux qui admireront l'audace insensée du film, la très forte personnalité qui s'en dégage, et la grande fidélité au roman de Jean Genet dont il est l'adaptation. Pour ma part, vous me trouvez à peu près entre les deux, partagé entre rire et admiration. Rainer n'y va quand même pas de main morte pour mettre en scène cette sombre histoire de marin assassin, hanté par l'idée de sa perte et de la grâce : Brad Davis (plaisir de retrouver cet acteur à la minuscule filmographie, mais indéniablement photogénique) interprète Querelle, un marin en escale à Brest curieusement attiré par l'auberge "La Feria". Est-ce la tenancière, Lysiane (Jeanne Moreau, entre deux âges) qui le fascine ? Ou plutôt son mari, qui joue volontiers aux dés son épouse : tu gagnes, tu couches avec elle, tu perds et tu en passes par le pénis fouailleur du patron ? A moins que Querelle veuille régler quelques comptes identitaires avec son frère, habitué des lieux et amant de Lysiane ? A moins que ce flic, qui hante les lieux, n'attire quelque peu sa convoitise avec sa moustache pleine de promesses ? A moins qu'il ne veuille attiser les feux de son commandant (Franco Nero), complètement obsédé par lui ? A moins que ses pulsions meurtrières ne le guident, lui qui assassine sans vergogne son complice de trafic d'opium ? Toutes ces raisons inavouables le font tourner autour du cabaret, et le mèneront tranquillement à sa perte... ou à sa renaissance, selon votre lecture.

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Notre gars Fassbinder, pas le dernier pour tenter des choses insensées, choisit de filmer cette sombre histoire moite dans le décor artificiel d'un studio, reconstituant des "idées de lieux" plus que des lieux eux-mêmes. Aucun souci de réalisme ici : les couchers de soleil sont de toute évidence peints, les décors sont de carton, les costumes sont des déguisements. L'esthétique 80's est immédiatement reconnaissable, avec ses filtres orange et rose, avec ses plans tarabiscotés, avec ses situations arbitraires et théâtrales filmées comme un clip bariolé. C'est assez proche du Beineix de La Lune dans le caniveau ou du Fellini de E la Nave va : chaque plan semble obéir à une logique esthétique avant d'être guidé par une volonté scénaristique. Il en ressort un film qu'on croirait tourné en 3D avant la 3D : la plupart des cadres sont prolongés par des amorces souvent très présentes (on ne voit souvent qu'un quart du cadre, les 3 autres étant comblés par ces flous en amorce) qui rehaussent la profondeur de champ ; les figurants, nombreux, passent devant le motif principal pour mieux donner cette impression de foule du quai ; l'action peut de temps en temps s'interrompre pour donner à voir un extrait écrit du roman ou un décrochage lyrique (qui rappelle l'opéra)... Bref, rien n'est fait pour qu'on y croie, tout est artificiel et faux. Ce qui donne un film assez difficile, tellement formel qu'il devient un peu kitsch à force, mais indéniablement audacieux.

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Du coup, les agissements de Querelle, qui auraient pu choquer le bourgeois dans un cadre réaliste, apparaissent comme faisant partie d'un théâtre, et donc distancés. Pourtant, Fassbinder ose pas mal de choses dans ce film très insolent : on y voit des hommes qui s'enculent sans aucune barrière, on y voit le désir littéralement suinter des murs, on y voit des sentiments très exacerbés ; tout ça pour exprimer le verbe de Genet et son but : la recherche de la grâce par le Mal (Querelle trahit tout le monde pour trouver sa rédemption). Le film est cru, direct, chargé en dialogues qui ne s'embarrassent pas de pudeur ou d'allusions, et on a rarement cette impression que derrière ce barnum de couleurs et de formes, se cache une personnalité, un regard, un vrai créateur. On navigue donc à vue, de temps en temps perdu ou dubitatif devant les énormes fautes de goût (la chanson de Jeanne Moreau est épouvantable), de temps en temps ennuyé par cette métaphysique sexuelle un peu dépassée, mais de temps en temps envoûté par cet univers unique fabriqué par Fassbinder, par cette projection concrète de ses fantasmes. Un film unique, aucun doute, l'expression d'une personnalité, et à ce titre, un moment éprouvant et nécessaire.

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Fassbinder ist in there

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