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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
4 février 2019

The House that Jack built de Lars von Trier - 2018

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Bienvenue en direct d'un cerveau malade. On sait déjà de quelle pâte est faite celui de Lars von Trier, si on est allé faire un tour chez Les Idiots, dans Antichrist ou dans Nymphomaniac. Mais on ne s'attendait certes pas à ce nouveau film, qui pousse un peu plus loin le curseur du dégoût de soi-même, du masochisme et de la noirceur. Von Trier entreprend depuis quelques temps un projet de destruction de lui-même, douloureux, périlleux, qui accouche aujourd'hui d'un film-monstre, à l'humour bien entendu douteux (on ne pouvait espérer du bon goût de la part du brave garçon), un autoportrait à la Bacon qui fait mal par où il passe, et une vraie gifle cinématographique : en un mot, je m'incline une nouvelle fois devant l'inconscience flagrante du bon Danois, en lui reconnaissant de m'avoir fait passer 2h30 pénibles et passionnantes. Et je tente même le parallèle audacieux avec La Maman et la Putain, ou Journal Intime de Moretti : j'ai eu l'impression d'être branché directement sur une personnalité, sur un être, sur une intimité. Que les habitants de celle-ci soient Hitler, un serial-killer et des pulsions sexuelles troubles n'y change rien : voilà un film à la première personne comme on en voit peu.

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Pour parler de lui-même, von Trier invente Jack, une sorte de puriste du meurtre, ayant entrepris depuis toujours de construire sa maison, entendez son oeuvre. Si on le voit effectivement inventer puis détruire des bâtisses, toujours à la recherche de la forme et du matériau parfaits, c'est plutôt dans l'art de l'assassinat qu'il cherche l'accomplissement, accomplissement toujours douloureusement inassouvi : à travers 5 "incidents" (entendez des meurtres souvent très gore), Jack cherche la perfection, le geste, la position, les circonstances, le corps idéaux qui assouviront sa soif d'absolu. A la recherche de l'éxécution parfaite ou de la position de cadavre esthétiquement totale, il se perd peu à peu dans un monde qui n'appartient plus à personne, où les sentiments humains sont niés, où les notions de beau et de laid se perdent, une spirale de folie intérieure faite de frustrations toutes judéo-chrétiennes, d'admirations morbides (hop, Hitler vient refaire un tour comme un pied de nez potache aux récentes polémiques, et boum développement sur la beauté des avions de guerre, et bim un cours sur la rigidité cadavérique) et d'obsession du "propre" assez torves. Au départ envahi de TOC qui le font revenir sans arrêt sur une scène de crime pour en effacer toute trace, il s'engage peu à peu dans un tourbillon désordonné qui le mènera à sa perte ; on sait dès le départ que son histoire se terminera en enfer, escorté par un Charon contemporain (Bruno Ganz, en négatif de son ange wendersien), et on assiste simplement à la chute... autrement dit à l'échec avoué de l'oeuvre de von Trier, le film ne cachant pas son caractère autobiographique.

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The House that Jack built est une sorte de film-bilan de son auteur, qui refait tout le chemin de son cinéma (il s'auto-cite régulièrement) et de l'état délabré de son mental. On est effrayé par cet univers turpide qui n'essaye jamais de se dissimuler, qui enfonce même souvent le clou de sa laideur et de sa kitscherie : tout l'épilogue, notamment, est un modèle de mauvais goût assumé, tellement poussé qu'il en devient presque beau (une poésie "sale", dirait-on). Le gars se montre tout nu dans ce film très éprouvant et souvent gênant : lui, ce qu'il aime, ce qui le fait réagir en tout cas, c'est la mort, le sang, la laideur. Et il les filme, tout simplement. Il entraîne Matt Dillon (ancien sex-symbol du cinéma) dans son délire d'auto-destruction, et l'accompagne de ceux et celles qui ont jalonné son cinéma depuis longtemps, les reconvoquant pour une dernière ronde morbide absolument répugnante. Pour ceux qui connaissent ses films, on retrouve dans les détails des tonnes de motifs et de thèmes déjà abordés, mais cette fois dévoyés, tordus jusqu'à en faire de simples hochets. Le grand truc du film, c'est le négatif : rendre la lumière noire, révéler l'envers des choses par la pellicule inversée. Ainsi tout ce qui est "beau" dans la vie (l'amour, l'entraide, les enfants...) ressort en négatif dans le film, sous les yeux de ce serial-killer passionné par les formes. Je ne vous dis pas que la vision du film se fait toute seule : on s'ennuie parfois, on est dégoûté par cette vision de l'humanité et de l'existence, on a les yeux qui piquent devant certains délires esthétiques douteux, bref le film ne se laisse pas aimer. Mais si, comme le dit Pasolini, "le cinéma doit être un caillou dans une chaussure", alors on peut dire que von Trier y plante carrément un rocher, et dans la sienne autant que dans la nôtre. Inregardable et génial. (Gols 15/11/18)

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Avant même de relire la chronique de Gols, il m'était venu presque la même phrase d'introduction : plongée dans le cerveau un rien dérangé de l'ami von Trier qui ne recule devant rien pour nous livrer son esprit cauchemardesque et caustique. Caustique, tout d'abord, indéniablement, mais d'une causticité qui fait souvent grincer des dents, qui passe en force, un humour danois en quelque sorte qui ne nous surprend pas chez celui capable de toutes les audaces - un humour, en tout cas, auquel je reste sensible (si, si) même dans les situations les plus outrancières (je me serais pour ma part surement contenté d'un fuck vis-à-vis de cette vieille déguisée en Ema Thurman ; un coup de cric dans la tronche, c'est peut-être un peu too much - après, tout cela reste une question de réflexe proportionnée). Caustique parce qu'il y a dans cette façon de "construire des meurtres" face à des "cas" (la donzelle entre deux âges morflant tout particulièrement, qu'elle soit pète-couille, veuve, en famille ou juste un peu plus jeune et un peu plus sotte), un rappel évident du Five Obstructions cher à l'ami Bastien. A chaque donzelle, une nouvelle façon d'aborder la chose, comme s'il s'agissait finalement d'adapter l'art de la tuerie à chaque cobaye... On passe par tous ses états appréciant (ou un peu moins pour les plus sensibles) diversement les situations : on pense à Buzzati pour l'assassinat de la veuve (une nouvelle de l’auteur italien racontant l'obsession d'un meurtrier à tout remettre en ordre dans l'appartement de la victime, obsession qui lui fait finalement oublier l'arrivée de la police), à La chasse du comte Zaroff pour cette pauvre mère de famille qui aurait dû passer un peu moins de temps à préparer son pique-nique et un peu plus à sonder les désirs de son amants, à du film noir sensuel et glauque avec ce téléphone à la ligne coupée (la tronche des héroïnes, chaque fois qu'elle se rende compte qu'elles sont piégées : ce don terrible de Trier pour créer des situations malsaines et filmer le malaise inscrit sur le visage de ses personnages – et provoquer par la bande le malaise de ses spectateurs), à du gore tarantinesque avec cette première séquence qui devrait faire réfléchir toute femme qui attend patiemment sur le bord de la route qu'une bonne âme s'arrête pour l'aider à changer sa roue. La dernière séquence, cette sorte de "solution finale avec un minimum de moyen" constituant un summum dans la provocation (la partie la plus "acide" du cerveau de von Trier pour tomber dans les euphémismes - il sait qui est le maître au niveau du mauvais goût, si l'on peut dire, et il ne peut s'empêcher d'y faire allusion...). A chaque fois, donc, on assiste à un nouveau pan du cerveau à la fois dérangé et créatif du cinéaste, à un nouveau pan de son héros - qui a tout de même la sobriété parfois d'user de moyens à l'ancienne tel que l'étranglement. Cinq incidents qui laissent des traces dans nos rétines qu’on le veuille ou non…

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Cauchemardesque, oui, le film l'est aussi, Gols l'a dit, même si cette fin dans des décors qui tirent plus sur le kitsch que sur le clin d'oeil à Tarkovski (avis tout personnel) est finalement un peu décevante - si on prend plaisir à retrouver ce bon vieux Bruno Ganz abandonné aux enfers depuis que Wenders filme, entre autres, le pape, on peut trouver le concept de ses « égouts de l'humanité » un peu trop facile pour ne pas dire téléphoné ; quant à la chute finale, on ne saurait mieux dire… une façon sans doute pour von Trier de jeter un peu rapidement son héros aux oubliettes comme pour se faire pardonner. Il n'en reste pas moins que le film tient en haleine sur la longueur (je dois être plus résistant que Gols sur le coup) tant l'ami Lars n'a rien perdu dans sa façon de créer tout du long de la tension (même malsaine, que dis-je, surtout malsaine). Quant au choix de la "maison finale", je crois que je passerais la main... Von trieresque et donc monstrueusement réussi. (Shang 04/02/19)

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Commentaires
C
Probablement pas, Broc'. Pas plus qu'ils n'aient vu et chroniqué T'aime de Patrick Sébastien, comme je le leur avais pourtant expressément demandé il y a des années de ça, en ces platebandes mêmes...
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B
Avez vous vu et critiqué Maniac de William Lustig ?
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S
Bravo à vous pour ces dizaines de lignes, il faut le faire ! §Sans intérêt, platounet et - finalement - très bien-pensant.
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