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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
11 juillet 2020

La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz (Ensayo de un Crimen) (1955) de Luis Buñuel

Serial-killer malgré lui, Archibald de la Cruz est un homme marqué à jamais par une image de son enfance, associant Eros et Thanatos : une image originelle qui allie l'assouvissement de ses désirs et une évidente insatisfaction lorsqu'il faut passer à l'acte - on peut aussi appeler cela l'impuissance. Buñuel illustre avec talent la porosité entre l'imaginaire et la réalité, le fétichisme et la frustration dans un film souvent aussi haletant qu'un thriller hitchcockien - l'ami Gols pourrait sûrement vous en dire plus à ce sujet. Ce film est un vrai régal, parsemé de séquences extrêmement fortes et toujours teinté d'un symbolisme d'une grande finesse.

ensayodeuncrimen

Le petit Archie, gamin pourri gâté, prend ses désirs, littéralement, pour la réalité. Sa gouvernante conte l'histoire fabuleuse d'une boîte à musique que sa mère vient de confier au bambin : un roi qui possédait cette boîte pouvait donner la mort à la personne à laquelle il pensait. Immédiatement le gamin fait un voeu en pensant à la gouvernante et celle-ci, à la fenêtre, se prend une balle perdue alors que la révolution fait rage au dehors. Elle git étendue sur le sol, la jupe relevée sur ses bas, quelques gouttes de sang perlant de sa gorge. Image forte qui associe dans l'esprit du gamin la découverte de la sexualité, le désir de domination et la mort. Chaque femme qu'il rencontrera plus tard ne tardera pas à être associée à des envies de meurtre. La vision d'un bas d'une bourgeoise perverse rallumera la première ses envies de sang ; qu'il s'agisse ensuite de la beauté d'une femme relativement émancipée (qui lui apparaît et qu'il veut détruire par les flammes - peut-être celles du véritable amour...), d'une pseudo vierge hypocrite (la virginité et Buñuel, tout un chapitre) ou encore d'une nonne (religion, pureté et... grand vide, au final, avec une superbe chute dans une cage d'ascenseur), le même mal démange notre Archie qui se trouve continuellement spolié des ses envies de meurtres comme autant d'actes manqués. Archie finira d'ailleurs par avouer tous ces meurtres dont il n'est point coupable, sera disculpé, presque malgré lui, parce qu'il est finalement le seul qui puisse véritablement mettre fin à cette malédiction. L'image de notre Archie qui, vers la fin, caresse du bout de sa canne (accessoire qui remplace les rasoirs qu'il avait toujours à portée de main...) un insecte, sans l'écraser, prouve bien que dorénavant toute érection ne sera plus forcément symbole de crime.

ensayo

Plusieurs séquences très troublantes sont esthétiquement parfaitement réussies : un verre de lait filmé de façon très hitchcockienne fait peser de lourds soupçons sur la suite des événements, un mannequin de cire (on pense a posteriori à Truffaut) qui se décompose dans l'enfer des flammes (sublime séquence lorsque Archie embrasse d'abord le mannequin, copie conforme de la magnifique Lavinia, avant de se pencher sur les lèvres de cette dernière comme si l'idée (de réaliser ses désirs) était finalement plus forte que l'acte lui-même), la petite musique qui accompagne à chaque fois notre Archie quand ses pulsions le reprennent, la séquence onirique de cette mariée d'une blancheur immaculée qui se fait trouer d'une balle au ventre sur son lit de noces... Tout fait sens, s'enchaîne avec une précision d'orfèvre, est réglé comme du papier à musique. Il n'y a véritablement pas grand-chose à jeter dans cette oeuvre, magistralement maîtrisée, qui mèle les thématiques classiques de Buñuel (la bourgeoisie capricieuse, l'adultère, le désir, la religion, la virginité, le pouvoir de l'imaginaire...) et qui tient en haleine jusqu'au bout.   (Shang - 15/01/09)

truelove


Bah tout pareil : j'ai beaucoup aimé ce film de crime sans crime, sorte de relecture ironique de film noir : pas d'assassin ici, juste un type qui a envie de le devenir, mais qui s'avère aussi incapable de passer à l'acte (dans le meilleur des cas) ou impuissant à assouvir ses pulsions (dans le pire) qu'un agneau qui vient de naître. On s'amuse beaucoup à suivre les aventures qui n'en sont presque pas de de ce serial-killer empêché. Buñuel aussi, qui inverse le processus : on filme d'habitude un meurtrier qui ne peut pas s'empêcher de tuer, là on filme un innocent qui ne peut pas s'empêcher de le rester malgré ses envies. Shang a tout dit des thématiques du film, la mort, le sexe, la religion, tout ça s'imbriquant l'un dans l'autre pour fonder une véritable mare aux fantasmes qui en dit très long sur le cinéaste. Mais plutôt que de verser dans le sordide, Buñuel filme tout ça sous le soleil, comme une comédie enlevée, sans jamais s'apesantir sur les motifs morbides, en transformant les noires pulsions d'Archibald en motifs fétichistes de toute beauté : il y a dans ces cadres sur les objets, dans ces plans rapprochés filmant un mannequin qui brûle, une jambe gainée, un revolver, toute une grammaire du fétiche, qui transforme immédiatement le film en classique. Superbement écrit, construit avec une fluidité totale, La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz est une petite merveille de cruauté, drôle, raffinée, sophistiquée et savante, et en même temps photogénique et sensuelle comme c'est pas permis. Satisfaction totale.   (Gols - 11/07/20)

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