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29 février 2024

A Double Tour de Claude Chabrol – 1959

En pleine naissance de la Nouvelle Vague, Chabrol, dès ce troisième film, en signe un peu le glas : morbide, glaçant, excessif et très théâtral, A Double Tour est un film franchement acide qui tranche avec les œuvres de jeunesse de ses petits copains des Cahiers. De là à voir ici un des premiers symptômes d'un embourgeoisement de ce groupe, il n'y a qu'un pas, que Chabrol se tente bien de marquer : son film n'est pas moralisateur ni juge, il est simplement observateur d'un état des choses qui va devenir sa marque de fabrique : la bourgeoisie de province, ses tares et ses avanies, ses rites et ses déviances. Nous sommes ici dans la riante société d'Aix-en-Provence, au sein d'une famille qui part à vau-l'eau : monsieur (Jacques Dacqmine) trompe allègrement et sans plus se cacher madame (Madeleine Robinson) avec Léda, la voisine (Antonella Lualdi). Le couple se déchire donc, sous le regard mi-amusé mi-désabusé d'une poignée de personnages : la bonne (Bernadette Lafont), le jeune garçon libertin venu passer des vacances (Jean-Paul Belmondo), son pote alcoolique (László Szabó), les deux enfants du couple (la fille, très sage, le garçon, à moitié fou). Un joli petit monde bien normé et bien dans les clous de cette pauvre histoire d'adultère, qui n'a pour seul but que de sacrifier la maîtresse : véritable victime de ce petit théâtre de la cruauté, Léda est pourtant la seule âme un peu pure du film, qui n'est qu'un combat de fauves qui se déguise sous les ors de la bourgeoisie cultivée et éduquée. Elle fera concrètement les frais de cette lutte puisque le film, de tragédie familiale, se changera en polar avec assassinat de la belle et recherche du meurtrier.

Le personnage de Léda est incontestablement la seule touche de beauté dans ce jeu de massacre total. Elle fait le contrepoint avec le personnage de la mère, formidablement joué par une Madeleine Robinson qui s'est enlaidie exprès, véritable creuset de rancunes, de névroses, de dénis ; et à celui de Bernadette Lafont, sotte complètement soumise malgré ses airs rebelles au diktat de la classe dominante. Le personnage de Belmondo, lui, apporte la touche de liberté, la possibilité d'une île en quelque sorte, mais son comportement beaucoup trop moral, finit par montrer un être tout aussi conformiste que les autres. La mise en scène de Chabrol, déjà très classique dès 1959, est plutôt réussie, malgré son utilisation de symboles trop vus (la maison-cerveau comme image du microcosme familial, l'escalier comme expression de la folie et de l'ascenseur social). Son utilisation des couleurs, des décors, de la musique, donne une indication supplémentaire aux personnages, et souligne subtilement les caractères de chacun. On reconnaît en deux-deux la patte de Paul Gégauff au scénario, le film est étonnamment cru dans les dialogues et dans la vision de la société ; on est même souvent pas très loin d'une agressivité punk dans sa façon de regarder ces êtres misérables s'affronter (très fortes scènes de disputes entre mari et femme), et nos deux bougres ne s'embarrassent pas de pincettes pour assassiner leurs bourgeois. Mais, trop cynique peut-être, trop amer, Chabrol n'a pas su trouver la balance exacte entre caricature et critique, et finit par proposer un film trop hystérique, assez pénible à regarder tant il est méchant. Après ses deux films très mesurés (Les Cousins et Le beau Serge), il déçoit en maniant la louche avec moins de finesse.

 

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