"Les amours ratent, mais de peu, c'est ainsi que commencent les suivantes."

On pourrait presque croire, à la lecture de ce premier roman, que Bukowski, Fante, Martinet ou Calaferte ne sont pas complètement morts, ou au moins qu'ils aient eu un descendant caché. Ils ont été beaucoup, beaucoup, mais alors beaucoup imité, mais rarement on aura trouvé un livre qui aura touché d'aussi près leur mojo et leur style. Zinet est de la race des grands losers, de ceux qui n'aiment rien tant que se rouler dans la boue et descendre le plus bas possible, une fois fait le constat que l'humanité est pourrie des pieds à la tête. N., le narrateur du livre, qui s'adresse à lui à la deuxième personne du singulier, a depuis longtemps fait une croix sur l'amour, la beauté, le travail, l'intégration, les amis, et tout ce qui fait l'existence des gens normaux. Lui restent la littérature, la bibine et un sacré désespoir qu'il rehausse presque malgré lui par une sorte d'humour ricanant, et par une propension à se mêler quand même à ses contemporains, la plupart du temps au coin d'un zinc. On le devine dès le départ : N. est un assassin, qui est en train de griller là ses dernières cartouches avant sa capture. Comme chez Martinet, on assiste donc là aux agissements désespérés et cyniques d'un malade mental. Notre ami découvrira pourtant l'amour, ou ce qui y ressemble à peu près, en la personne d'Irène, bobo aisée qui va prendre notre gars sous son aile. Il lui en cuira, puisque N. lui mentira, profitera d'elle, la dépouillera sans vergogne : l'amour c'est pour les chiens.

Toute cette partie-là, d'un cynisme remarquable, est assez géniale. Parce que Zinet ne fait aucune concession, ni dans sa trame, ni dans son style : N. est détestable, et l'auteur poussera le portrait jusqu'au dégoût total ; la forme est volontiers plate, simple, et là aussi l'auteur d'y roule avec délice, dopant ses pauvres phrases d'un humour imparable ("Ton répertoire est composé de gens morts, mariés ou de mères de famille – tout cela est abominablement proche.") Cette pureté, surtout mise au service de tant de noirceur, est admirable, d'autant plus chez un primo-romancier encore très "sous influence". Quand N. passe réellement à l'acte, dans le dernier tiers, le livre perd un peu ce fragile et miraculeux équilibre entre fond et forme ; en en rajoutant dans le scénario, Zinet montre peut-être une absence de réelle sincérité dans ce qu'il veut raconter. Comme si, in extremis, il avait décidé de racoler un peu son lecteur avec une intrigue de thriller qui n'était pas nécessaire. On préfère de loin quand il fait son Cioran que quand il fait son Jim Thompson. Mais tel quel, ce livre court est vraiment fulgurant, couillu et renversant. Prix de Flore assuré.

LIVRE : Une Trajectoire exemplaire de Nagui Zinet - 2024

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