Voilà au moins 15 ans que je n'avais pas ouvert un bouquin de Toni Morrison, et je crois que je n'ai rien perdu de capital : en lisant Home, j'ai l'impression que la donzelle n'a pas bougé d'un iota pendant toutes ces années. On peut trouver ça agréable (le plaisir de retrouver ses pantoufles au même endroit), on peut aussi se dire que le Prix Nobel ne fait pas que du bien à ses détenteurs, en ce qu'il les fait reposer éternellement sur leurs bons vieux lauriers.

Ne soyons pas trop durs : Home se lit vraiment sans déplaisir, ce qui n'est pas la meilleure qualité qu'on puisse accorder à un livre. Morrison, en bonne admiratrice de Faulkner, en produit une version light qui ne manque pas de puissance, d'autant que son écriture d'habitude un poil trop ample est ici ramassée en 150 pages droites comme une corde de pendu. On suit le destin, bien entendu tragique, d'une poignée de personnages, le principal étant un brave Black de retour de la Guerre à moitié cinglé, et qui retourne au pays natal sauver sa soeurette victime de sombres expérimentations. Le récit est remarquablement bien construit, en plusieurs voix ça va de soi (sinon faulknerien l'on n'est point, et morrisonien pas plus), qui s'enchaînent avec une maîtrise impeccable. L'histoire contient son lot de drames, d'aventures, d'événements, racontés avec une sobriété implacable, et une économie de moyens qui n'efface jamais le lyrisme feutré de l'ensemble. On a vraiment l'impression d'écouter une chanson de Nina Simone, par exemple, de toucher à cette justesse-là quand il s'agit d'être poignant sans braiements, d'être bouleversant sans lâcher les fauves. Morrison maîtrise maintenant à merveille cette retenue de sentiments, ce "behaviorisme" tout américain qu'elle mèle à une sorte de pastorale faussement douce. Ce qu'elle décrit est âpre et violent (les belles pages sur l'errance du héros sur les champs de bataille), mais l'écriture est douce et en retrait.

Mais, sûrement parce que j'aime bien pas dire que du bien, ce roman m'a laissé un peu sur une impression de revenez-y. Peut-être parce qu'il est trop tourné sur le passé, ce qui en dit finalement long sur l'esprit légèrement ringard de la bonne vieille Toni : on a l'impression que toute cette histoire n'est constituée que de flashs-back, sans presque jamais en venir au présent des personnages. Dès qu'ils font un geste, zou, on embraye la marche arrière et on les laisse sur place pour décrire leur enfance ou la biographie de leurs ancêtres. D'où la sensation de piétiner à l'orée de la trame. D'où l'impression aussi, parfois, que Morrison n'arrive pas à parler du monde actuel, coincée qu'elle est sur cette histoire des Etats-Unis-là (celle du racisme anti-Noirs) sans arriver à s'ouvrir. Certes, il y a assez de matière pour remplir 800 bouquins, mais j'aurais bien aimé retrouver Morrison ailleurs après cette longue absence. Déçu, vi vi, un peu...

LIVRE : Home de Toni Morrison - 2012

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