Honoré et moi a cet avantage de regrouper deux tendances : celle du roman de plage et celle de l'érudition du snob fan de grande littérature. C'est assez rare pour le noter mais le fait est : Lecoq parvient à écrire une biographie de Balzac qui est aussi un bon gros machin à feuilleter entre deux siestes, rigolo et léger. Certes, à force d'être le cul entre deux chaises, elle parvient à n'être ni complètement pertinente dans le côté érudit, ni totalement satisfaisante dans le côté sucrerie pleine d'huile solaire. Mais on salue tout de même cet effort louable pour faire entrer un grand écrivain classique dans la pop-culture. C'est donc à Balzac que s'intéresse Titiou Lecoq ; mais un Balzac bien particulier : tout le livre est bâti autour de son rapport difficile à l'argent. Balzac a toujours vécu au-dessus de ses moyens, entretenant avec le fric des rapports troubles, entre fascination pour "ceux de la haute" et rêves de grandeur. A en croire l'auteur, tout a toujours tourné autour de l'argent dans sa vie : comment accéder aux hautes sphères, comment se procurer le meuble coûteux ou le manteau luxueux, comment rembourser le fatigant tailleur réclamant son dû, comment investir dans un projet miraculeux (et bien entendu catastrophique) : toujours, toute sa vie, Balzac aurait fait de l'économie le moteur de son existence et de son œuvre, ce qui transparait dans ses livres, qui tournent souvent autour de ce thème. De ce besoin irrépressible d'argent découlent donc des projets douteux, de travaux d'édition à des plantations d'ananas (...) : la vie de Balzac a aussi ceci de particulier que le bougre est littéralement poursuivi par une mouise impressionnante, chacun de ses choix s'avérant la plupart du temps désastreux. Coup de pinceau final : de mauvaise foi, égoïste et geignard, il aurait passé son temps (on le voit à travers ses lettres) à accuser les autres de sa déveine, ne voyant pas que c'est lui-même qui se plonge dans la misère.

Bon. C'est amusant, et en attendant le prochain livre sur les problèmes de transit de Maupassant ou sur la passion pour les timbres de Zola, on peut passer un moment très sympathique avec ce "Balzac et l'argent". Titiou Lecoq n'a peut-être pas dû passer plus de deux semaines sur Balzac, et livre une biographie expéditive, clicheteuse et orientée sur l'auteur ; on ne trouvera pas là de regard sur La Peau de Chagrin ou une analyse pointue de ses rapports avec Eve Hanska. Mais là n'est pas le sujet, ne soyons pas de mauvaise foi. En place d'une lecture approfondie, on se contentera de ce survol très amusant, qui se lit comme de rien, et qui finalement en dit pas mal sur l'auteur. Il y a dans cette soif désespérée de statut social un intéressant portrait d'un homme ayant toujours été plus ou moins roturier et qui a voulu se servir des Lettres pour atteindre un rang social fantasmé. Ses livres, du coup envisagés comme de simples outils pour parvenir aux hautes sphères, sont pleins de cette "soif de l'or" qui a été le moteur de sa vie. Lecoq raconte ça sur un ton badin, très 2.0 (on dirait parfois un ton de blog), et fait souvent mouche : Balzac en ressort comme un héros d'aujourd'hui, pathétique dans ses projets douteux mais flamboyant de panache dans son déni de la réalité et dans son existence qu'il a toujours vécue nettement au-dessus de ses possibilités. Entre ces considérations financières, Lecoq parvient aussi à dessiner le portrait d'un écrivain ayant beaucoup œuvré pour la cause des femmes, puisqu'il a pratiquement inventé la femme moderne, indépendante et libre : ainsi qu'un homme attachant, énervant, le rendant finalement plus proche de nous que ce que les biographies trop savantes pourraient laisser penser. Le livre réussit son but : parler d'un auteur très littéraire sur un ton ordinaire, le hisser à hauteur d'homme, le faire voir dans ses petites faiblesses, et nous faire marrer en plus. Pour plus de profondeur, on ira voir ailleurs, mais pour emporter à la Grande Motte, parfait.

LIVRE : Honoré et moi de Titiou Lecoq - 2019

Partager cet article