Comme 90% des polars (j'exagère à peine), Les Cantiques de l'Archange est écrit avec le pied gauche : dialogues indigents, phrases d'une platitude exaspérante, aucun souci de style, aucune culture littéraire. La phrase la plus novatrice donne quelque chose du genre : "Je pénétrai dans la pièce et m'assis sur la chaise faisant face au sénateur". Bon, vous me direz, quand on lit un polar, on ne cherche pas forcément du Stendhal, mais quand même ça serait bien que les auteurs de série noire se mettent à lire autre chose que les vieux Tintin en matière de bouquins. Passons...

Si ce livre est sans intérêt aucun au niveau du style, il faut reconnaître qu'il tient ses promesses au niveau de l'intrigue. Ce qui, dans les premiers chapitres, ressemble à la 800000ème version du même bouquin se révèle petit à petit comme un scénario d'espionnage bien tenu, où la simple petite enquête débouche sur des ramifications politiques complexes et vastes. Chesbro mouille tout le monde dans son intrigue, politiciens, juges, hommes de main, héros du Viet-Nam, etc, jusqu'au Président des Etats-Unis. On n'est pas loin de 24 dans ce nihilisme noir qui ne laisse aucune chance aux différents pouvoirs qui nous gouvernent. La brutalité des méandres de l'action (tout le monde y passe, et dans des souffrances atroces, là aussi on s'approche de 24) est très bien assumée et toujours surprenante. Le discours de fond, s'il hésite un moment à virer à droite (la justification du meurtre pour tuer les criminels, la glorification du héros guerrier, l'admiration pour la survie), oblique curieusement vers une position quasi-anarchiste, où tout est pourri au royaume de Danemark. Certes, Chesbro reste trop attaché aux valeurs morales pleines de noblesse de son héros ("je préfère mourir que de voir mon pays abandonné aux mains des félons", dit-il en substance), mais il n'en reste pas moins que l'attaque des abdications faites par nos gouvernements touche au but. Les concessions politiques sont critiquées de front et relativement courageusement, jusqu'à amener le petit monde décrit par le livre dans un joyeux chaos négativiste, au cours des dernières pages.

L'intrigue et le discours des Cantiques de l'Archange, à défaut de l'écriture, sont donc assez haletants pour accorder à ce petit bidule un satisfecit.

LIVRE : Les Cantiques de l'Archange de George Chesbro - 1986

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