Mohammed Aïssaoui se présente comme un anonyme capable de raconter la vie des autres et il le fait très bien. Dès le départ, on ne cherchant pas à s'épancher sur son enfance, sur le pays (anonyme également...) d'où il vient, sur sa mère ("Je ne raconterai pas") qui éleva seule son enfant, on comprend que l'auteur ne va pas nous servir une énième autofiction plaintive sur son parcours si difficile avant d'en arriver là. Bien au contraire, ce biographe d'inconnus va conter avec simplicité, avec pudeur, avec clarté, la vie de ceux que l'on oublie souvent et que l'on croise généralement sur les trottoirs et celle de ceux qui leur viennent en aide, ces bénévoles des restos du cœur ou d'ATD quart monde. Essayer de mettre des mots sur des parcours, sur des ombres, sur des personnes auxquelles on donne rarement la parole comme sur celles qui plutôt de faire de long discours agissent, tous les jours, bénévolement. Oh putain, vous allez me dire, encore une œuvre mièvre, pleine de bon sentiments, etc... Eh bien non, Mohammed, tout en relatant en fil rouge la recherche de celle qu'il a aimée et qui lui manque, parvient toujours à trouver la bonne distance pour évoquer ces êtres qui, en toute humilité, sans jamais chercher à exhiber leur dévotion, tentent de venir en aide aux gens dans le besoin, tentent d'aider ceux qui veulent être aidés. Il n'y a rien de racoleur ici, rien de larmoyant, rien de mélodramatique, juste des constats sur ces gens dévoués, qui essaient au quotidien d'améliorer la vie des autres, et sur ces autres, ces sacrifiés, ces funambules, dont il tente de retrouver le fil ténu d'un semblant de vie. Aïssaoui, l'enfant sans toit, l'enfant sans père, l'étudiant brillant, l'écrivain des sans mains, semble toujours à l'affût de la petite "fêlure", chez tel ou tel, du micro-trauma qui existe en chacun de nous ; il l'évoque, non point pour s'engager dans la brèche, mais pour montrer finalement que chacun a ses blessures, que chacun a sa part de doute, qu'on est finalement un peu tous égaux dans nos faiblesses ; ces gens qui se battent pour les autres savent qu'ils pourraient en être : ils se dévouent pour les autres parce qu'ils sont tombés du bon côté du manche, sans condescendance, avec bienveillance et un maximum d'écoute pour tenter de remettre la personne sur les rails. A l'heure où l'on se plaît à couper les fils (ouais ouais, je me comprends), Aïssaoui livre une œuvre pleine d'humanisme, sincère, qui rend simplement hommage à ces sans noms ceux qui accueillent comme ceux qui sont « accueillis ». Un peu de chaleur humaine équilibrée dans ce monde de bruts. Pudiquement empathique.

LIVRE : Les Funambules de Mohammed Aïssaoui - 2020

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