Aaaaah la grande époque des "musicals" de Ziegfeld, avec ses élégants danseurs en frac et ses girls dénudées et affriolantes levant la gambette à l'unisson de leurs 300 partenaires, avec ses chansons sucrées et ses numéros de claquettes bouffons ! Oui, on n'a pas forcément une grande nostalgie de ces années-là, mais ça n'empêche pas de se taper ce petit film un peu oublié, qui pourrait constituer l'essence même de ces temps anciens. Dénué de tout intérêt autre que la prouesse scénique, sans scénario, sans acteurs, sans progression, sans mise en scène, Glorifying the American Girl semble entièrement consacré au spectacle proposé par Ziegfeld. Et le bougre a mis les moyens pour exalter son génie : 75 danseuses, deux fois plus de jambes, des tonnes de tenues en plumes, le top de la crème des chanteurs, et un ou deux clowns pour parfaire le tout, on est dans le grand spectacle. Le dernier tiers du film, qui laisse désormais tomber toute trace de scénario, est constitué des numéros extravagants, filmés sagement comme le ferait un spectateur placé dans la salle (hormis quelques plongées ou décadrages bien maladroits destinés à rappeler que, merde, il y a quand même un cinéaste là derrière). La grande innovation, celle qui a dû faire s'extasier les spectateurs de l'époque, c'est l'ajout pour quelques séquences de la couleur. On en est au tout début de l'expérimentation, et l'ensemble ressemble plus à une aquarelle qui aurait passé une semaine sous la pluie qu'à un flamboyant Technicolor. Mais enfin l'esprit y est et ça permet d'observer les robes de ces dames dans leur plus bel éclat (pastel).

A part ça, ma foi, on soupire tout de même bien fort devant l'indigence de ce qui nous est montré. Le film raconte comme toujours l'ascension d'une blondinette, depuis es bas-fonds du petit commerce où elle est employée jusqu'aux feux de la rampe du music-hall de Broadway. On note tout de même deux points plus originaux : 1/ la présence d'un amoureux complètement gaga de la jeune fille, et qui amènera le film vers un mélodrame assez noir qu'on n'attendait pas ici. L'héroïne, d'abord tout sucre envers lui, se détachera petit à petit jusqu'à le perdre complètement (au profit d'une brune de service), ce qui permet de pointer la vanité de la gloriole par rapport à la beauté de l’amour, ce genre de choses. 2/ un ton pas piqué des hannetons sur le harcèlement sexuel dont étaient (et sont toujours, sinon en croit ces dames) victimes les postulantes à la gloire. Il y a un personnage proprement immonde de patron de revue qui ne pense qu'à s'envoyer notre danseuse, et lui fait miroiter moult promesses si elle cède. Dès qu'elle dit non, il va fricoter avec sa voisine et lui proposer la même chose. En ces temps de pré-Code, l'audace de ces scènes est assez forte, et la vision du monde du spectacle bien amère. Bon, sinon, les numéros de danse, de chants, de claquettes ou de ballets sont professionnels, rien à dire, mais quand même un peu chiants à regarder, avec ces pitreries d'un autre âge et ces figurantes coquines et tout sourire qui semblent issues d'un spectacle de Holiday on Ice. C'est mièvre, joué au rabais, écrit à la va-vite, mais même les parties de pure comédie musicale ont du mal à convaincre. Bon, au final, une curiosité, mais un film un peu anonyme tout de même, fors son discours "politique" assez osé.

Glorifying the American Girl de Millard Webb - 1929

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