Grand-père a planté une betterave (Zasadil dědek rěpu) - 1945
Des débuts tout en douceur pour notre gars, qui nous traficote une histoire gentillette et légèrement simpliste. Un papy plante une betterave dans son petit potager, et lui prodigue tant de soins, dirigeant même le soleil pour qu'il s'oriente correctement sur son protégé, que le légume finit par devenir énorme. Que de rigolade au moment de l'arracher de terre ! Heureusement, compère chien et compère chat (et jusqu'à commère souris, la coquine), viendront prêter main forte au vieux et à sa famille pour en venir à bout. Que de rigolades et de galipettes, les enfants ! Bon, on est dans le dessin animé de base pour les plus jeunes, mais c'est mignon. Les gars de Pixar se marreraient sûrement beaucoup devant cette technique fluctuante et ces dessins à deux balles, mais ce film contient une poésie simple et naïve, un dynamisme et une joie qui réchauffent le cœur.

Les Petits Animaux et les Brigands (Zvířátka a Petrovští) - 1946
On reste dans le croquignolet avec le film suivant, qui véhicule un message à nos chères têtes blondes : arrêtez d'avoir peur de tout, nom de nom. Les animaux (une chèvre, un chat, un coq, pas loin des musiciens de Brême) flippent devant les trois brigands (comme dans le conte de Ungerer), ceux-ci frémissent devant ceux-là, alors que franchement, s'ils se connaissaient un peu mieux, ils verraient bien que l'harmonie est possible sur cette bonne vieille terre. La technique est toujours un peu fluctuante, mais on sent bien qu'avec ses pauvres moyens, Trnka parvient tout de même à balancer du rythme, de la couleur et du dynamisme. On grimace un poil devant le montage à la hache, l'animation au gros scotch et l'écriture maladroite (cette poésie à la con balancée par une voix enfantine, brrrr), mais on apprécie de voir un style se fabriquer sous nos yeux. Trnka s'affine, on sent qu'on approche de grands films.

Le Cadeau (Ddrék) - 1946
Ça s'affine, ça s'affine, les enfants, et ce petit film-là nous montre un Jiří gagner en confiance et en idées. On a même droit à une spectaculaire mise en abîme, qui montre que notre cinéaste n'est pas seulement un bon artisan, mais également un gusse qui réfléchit à l'art du cinéma. Un scénariste (filmé en images réelles) pense avoir trouvé une idée de film géniale et imagine comment il la présentera au patron de son studio. Devant son miroir il parle à son double, et commence alors un petit dessin animé, où les hésitations du bougre ne cesse de gommer, corriger, refaire, affiner, voire censurer ses idées. Il en résulte un film assez frondeur qui joue avec l’image de l'artiste face à ses commanditaires, le cartoon racontant d'ailleurs justement les petites aventures d'un homme voulant offrir une statue à sa femme et se confrontant aux caprices d'un sculpteur. C'est gentiment insolent (et même un peu coquin : la statue dénudée, l'amant caché dans le placard...), dynamique, croquignolet, et si au niveau technique on n'est toujours pas au top, on sent bien que Trnka trouve ici son ton, gentiment politique, cruel et rêveur face au méchant Capital.

L'Homme à ressorts et les SS (Pérák a SS) - 1946
Ah courageux, ce film-là, qui s'attaque au nazisme en le ridiculisant façon Chaplin dès la sortie de guerre. Les généraux nazis, en particulier celui moustachu et mécheux qui est le centre des attentions ici, sont des crétins bureaucratiques, impitoyables, gesticulants et parfaitement cons, et Trnka leur oppose principalement deux personnages : le candide rêveur qui se verra emprisonné avec son piaf (voir ce petit oiseau enchaîné vous fend le cœur), puis le héros bricolo (ses pieds sont en ressorts de matelas) qui va enfin apporter la vengeance due, et semer le chaos dans les rangs trop ordonnés des Boches, jusqu'à les bouter carrément hors de Prague. Une sorte de mini-super-héros très artisanal (le gars est un petit ramoneur sans envergure) mais qui va, par sa malice et ses tours, faire vaciller les armées. La technique s’affine, malgré le fait que Trnka filme ça en noir et blanc, il commence à piger le truc au niveau du dynamisme et des gags, et parvient même avec ses dessins répétitifs à donner une idée de l'ordre prôné par les nazis (ces rangs de soldats qui défilent). Très joli petit film impertinent.

Le Moulin du diable (Čertův mlýn) - 1949
Un silence de trois ans, mais c'est pour opérer une véritable mutation : Trnka revient avec une technique nouvelle. Finis les petits dessins artisanaux, place aux marionnettes animées en stop-motion. Et on sent qu'il a trouvé sa voie. Au service d'une jolie histoire, il déploie une technique incroyable de petits détails. Les décors, les caractères des personnages, l'univers merveilleux qu'il invente autour de son brave musicien de rue tout pathétique sont minutieux en diable, colorés à la main avec une minutie extraordinaire, et l'invention qu'il déploie pour animer tout ça est géniale. On a notamment droit à une danse de démon virevoltante et drôle, effrayante et baroque, qui marque réellement la rétine. Toute la première partie, avec ce joueur d'orgue qui accumule les canards, faisant fuir son audience (des petites vieilles aux mouches) est d'une douceur assez mélancolique : les ciels qui éloignent le personnage du fond d'écran le renvoient à sa solitude et à sa tristesse, c'est très fort. Ensuite, quand un magicien lui offre une manivelle permettant de jouer enfin juste, Trnka passe à une symphonie genre "Une nuit sur le mont Chauve", avec cafards, rats, grandes ombres effrayantes et donc démon à la clé. Très ancré dans la tradition du conte tchèque, il propose ici une histoire d'envoutement, véritable traversée de l'enfer pour trouver enfin au jour levé le bonheur et la tranquillité. C'est beau comme notre enfance. Premier vrai chef-d’œuvre de la liste.

Le Chant de la prairie (Árie prérie) - 1949
On continue dans la même technique, cette fois au service d'un western facétieux qui tourne autour d'une belle et d'un cow-boy chanteurs d’opéra. Sitôt leurs regards croisés, c'est le coup de foudre, et notre héros fera tout pour sauver sa belle des griffes du méchant sirupeux qui la harcèle et des Mexicains patibulaires qui la canardent. L'humour de Trnka s'affine dans ce film d'aventures pour rire, qui se permet des gags absurdes comme un cheval acrobate ou une jeune fille qui ne cesse jamais de chanter même suspendue au-dessus du vide. On note de petits défauts techniques dans la scène nocturne, assez confuse, mais l'ensemble tient très bien la route, pastichant à l'envi les archétypes du genre. On a même droit à une mort de méchant d'anthologie : le gars chute d'une falaise, suivi en vol par les vautours qui s'apprêtent à le bouloter, et précédé par les cartes à jouer qui ont précipité sa ruine morale. C'est poétique et drôle, enlevé et minutieux, artisanal et parfois assez macabre. Je dis : encore.

Le Roman de la contrebasse (Román s basou) - 1949
Toujours le même charme pour ce petit film sans façon, adapté d'une nouvelle de Tchekhov. Une suite de quiproquos montrant un contrebassiste se rendant à un concert, mais s'octroyant une pause baignade en chemin. On lui pique ses vêtements, ceux d'une jeune fille se trouvant là aussi, ni une ni deux : on cache la fille dans l'étui de l"instrument. Je vous passe les détails, mais Mme la Baronne aura l'occasion de s'évanouir quand l'étui sera ouvert en la présence du gotha. Bon, il faut reconnaitre que la narration est un peu floue et qu'on ne comprend les choses qu'après coup. Mais la mise en scène est si mignonne, avec ces petits personnages rigolos et ses situations coquinettes, qu'on ferme les yeux sur l'histoire et qu'on se laisse aller au charme suranné et bucolique de ce petit coin de rivière, de cette campagne nocturne et de ce salon bourgeois. C'est rythmé, charmant et rigolo comme tout.

Le Joyeux cirque (Veselý cirkus) - 1951
Toujours artisanal et glamour, mais un changement de technique pour ce court-là : cette jolie reconstitution de numéros de cirque est constituée de papiers collés, pour une animation en 2D qui n'enlève rien du tout à l'attrait de la chose. Les mouvements des personnages sont bluffants de fluidité, et je vous jure qu'on sent le poids de l'écuyère au moment où elle saute sur son cheval. Dans le genre, ma préférence ira à ces trapézistes maigres comme des clous, qui effectuent un numéro de casse-cou avec une grâce accomplie, par la magie de l'animation. Tnka est inventif en diable (le jonglage des otaries, le poisson funambule (...)), et fait culminer son film avec un ours acrobate fendard dont tout l'équilibre va être menacé par une mailloche de grosse caisse. C'est tout simple, joyeux et enlevé, court et coloré, et malgré ce curieux choix de tout montrer à travers une sorte de brume, comme un rêve, on reste enchanté par ce retour en enfance joli comme tout.

Le Poisson d'or (O zlaté rybce) - 1952
Encore un changement de technique, et une petite baisse de régime chez Trnka. Cette fois, plus d'animation, mais des images fixes, mises en scène il est vrai avec beaucoup de dynamisme, pour raconter un conte traditionnel. L'histoire pendable d'un couple de miséreux trouvant par hasard un poisson magique qui exauce leurs vœux. On le sait dès le départ : nous amis auront très vite les yeux beaucoup plus gros que le ventre, et de mégalomanie en caprice, finiront après moult étapes mirifiques comme au début du film, à savoir enfermés dans une bouteille de vinaigre. C'est édifiant, mais si vous voulez mon avis, ça reste un conte avec sa morale et son enseignement, et ça me gave un peu. Trop traditionnel et classique pour surprendre vraiment, ce conte n'est sauvé que par l'interprétation du narrateur, très rigolo dans son ironie feutrée, et par la force des dessins en "noir et lumière", très expressifs.

Les Trocs malchanceux du grand-père (Jak stařeček měnil, az vyměnil) - 1953
On continue dans le moyen avec ce petit film sans façon illustré également en images fixes et en collages. Moins d'élan et de fougue dans celui-ci, traduction d'une légende tchèque qui voit un petit vieux troquer à tout va, d'un cheval à une vache à un mouton à un cochon à trois brins de paille, sans se rendre compte qu'il y perd un peu à chaque étape. Quand il finit par se retrouver sans un, il découvre que sa vie d'avant était bien assez suffisante, et s'endort dans l’harmonie du ménage. Je dis ça, mais ne parlant pas tchèque, j'ai eu du mal avec les subtilités de la voix off. Ceci dit, on constate que le père Trnka ne s'est guère foulé cette fois-ci, se contentant de monter ces quelques images sans grande invention formelle. A la rigueur, on peut les trouver gentiment expressionnistes, mais il faudra se contenter de quelques jolis paysages (sur un soleil hilare, un riant tournesol ou une quiète maison) et d'une moralité bien gentille.

Les Deux Frimas (Dva mrazíci) - 1954
Plus on s’enfonce dans la forêt des films pointus de Trnka, moins on parvient à obtenir les sous-titres. Je n'ai donc pas compris grand-chose aux dialogues entre ces deux courants d'air qui (semble-t-il) discutent, au cœur d'une forêt hivernale, sur lequel des deux aura la dent la plus dure et parviendra à ficher une pneumonie au brave quidam. Ils choisissent chacun un passant et leur font subir avanies et coups de froid... avant de se rendre compte qu'ils ne peuvent rien contre le brave travailleur tchèque qui bucheronne. Ode à la valeur travail, bon, c'est un conte moral traditionnel et un peu réac. Mais au niveau de l'animation, on retrouve avec régal la grande inspiration de Trnka. Le film mélange dessins animés sur celluloïd et marionnettes, et c'est une merveille pour les yeux, tant dans les ambiances hivernales (ces bleus, ces blancs, ces noirs à la fois glaciaux et réconfortants) que dans les personnages (les deux frimas joliment animés, et surtout ces braves quidams en marionnettes et leurs chevaux pelucheux). C'est fait avec trois ficelles mais d'une expressivité constante et d'une drôlerie bon enfant qui marquent des points. Très joli.

Comment Bricolet et Bricolette se sont levés le matin (Kutásek a Kutilka, jak ráno vstávali) - 1954
Franchement, si vous avez un môme de 2 ans, la vision de ce petit machin devrait le ravir plus que de raison. En prises de vue réelles, Trnka s'y adonne à une leçon de civisme sous la forme d'un tuto sur la toilette du matin. Bricolette la gracieuse poupée et son pote Bricolet, le grincheux pantouflard, deux marionnettes à main qui m'ont redonné d'un coup envie de me recoller à cet art délicat, sont réveillés par un clown, un comédien tout en mimiques et en voix chantante. Vas-y que je me brosse les dents, que je me lave le visage, que je fais mon lit, et tout ce que l'on doit apprendre pour être un bon citoyen tchèque. Au-delà du moralisme à l'ancienne du film, on admire la vivacité de la manipulation des marionnettes, l'univers tout petit et mignon à mort, et l'ingéniosité du mélange des techniques une fois de plus (ici jeu de comédien et marionnettes). C'est clairement destiné aux plus petits spectateurs, mais je me suis surpris à vérifier que je m’étais bien lavé derrière les oreilles ce matin. Charmant charmant.

Le Cirque Hurvinek (Cirkus Hurvínek) - 1955
Trnka et le cirque, une histoire d'amour qui dure, semble-t-il, puisque ce court-métrage est tout entier dédié à la magie de cet art. On regrettera ici un certain manque de gnaque dans le récit, une baisse de rythme vraiment visible. Une première partie très longue (surtout que je n'ai pas eu les sous-titres et qu'il n'est pas facile de suivre ce long monologue en tchèque), seulement brisée par les facéties d'un jeune gamin qui s'amuse à faire des farces à un colleur d'affiches, ou celles d'un jeune chien très joliment rendues par la technique en marionnettes animées. On ronge un peu son frein en attendant le coup d'éclat, qui arrivera sous la forme d'un accident : un gamin qui se prend un mur en glissant sur une rampe d'escalier, et le voilà pris dans un rêve où il est devenu le roi du cirque. Pas manchot en trottinette, il se montrera pourtant incapable de faire sortir les animaux dessinés de son grand livre, et tout ça se termine quelque peu en fiasco. On aime toujours autant les couleurs, les petites inventions et l'imaginaire naïf de Trnka, mais on tique devant ces scènes trop longues et le manque d'énergie de ce film.

Pourquoi UNESCO ? (Proč UNESCO ?) - 1959
Un film de commande pour tenter de faire comprendre au brave citoyen de 1959 l'utilité de l'UNESCO, sa grandeur, son fondement, et les vertus du vivre-ensemble. A travers une animation très naïve, Trnka répond à la demande de cet organise en traficotant un petit scénario édifiant et simpliste autour du concept de frontières (c'est mal) et d'ouverture aux autres (c'est bien), d'égoïsme inhérent à l'histoire de l'humanité (c'est mal) et du partage des connaissances techniques et culturelles (c'est bien). C'est mignon, ok, mais on aurait apprécié un peu plus de complexité dans l’exécution de la chose. Là, ça reste dans l'image-symbole la plus naïve qui soit, appuyée qui plus est par une technique d'animation un peu basique (du cartoon fait au plus vite, sans plus), qui ne rend pas compte du génie trnkien. On dirait un épisode des Shadocks, les grands discours en plus. Passable.

La Passion (Vášen) - 1961
A l'aube des sixties, Trnka se fait plus sombre, plus prophète. En atteste ce petit film muet (mais non sans bruit) consacré à la passion de l'homme (au sens masculin) pour la vitesse et la compétition. Dès son plus jeune âge, il s'énerve à bousiller ses jouets pour leur faire gagner en vélocité, et plus tard il n'aura de répit que quand il arrivera à surpasser son prochain plus rapide. Gentiment moral, notre cinéaste, gagné par un certain pessimisme, met en scène ici un monde de concurrence, d'escalade vers toujours plus de vitesse, quitte à se fracasser contre les murs. On sent notre homme bien tourmenté, et ce ne sont pas ses motifs naïfs et ses marionnettes mignonnes qui vont donner le change. Tout ça est coloré et gai, mais ça ne cache que très mal la critique acerbe de la société de consommation effrénée qui menace. Ça reste dans le trait enfantin, mais la technique, qui mélange les figurines réelles au dessin animé, voire à la gravure, dément a chose, faisant de ce film un des premiers vraiment adultes de Trnka. Le mot "fin" ne cesse d'être repoussé, tant on sent que l'homme n'a aucune limite quand il s'agit de surenchérir sur son frère, et nous on fait moins les malins.

La Grand-mère cybernétique (Kybernetická babička) - 1962
On continue sur une note très sombre, voire légèrement flippante, avec ce court prophétique qui fustige la société connectée 2.0. On n'ose imaginer ce que Trnka aurait fait du monde de 2023,parce que déjà, en 1962, il posait un regard à la fois ironique et terrifié sur le progrès technologique. En plein dans une veine soviétique futuriste, le voilà qui nous montre le voyage d'une gamine pour découvrir sa nouvelle grand-mère : un robot effrayant, adepte de l'esprit sain dans un corps sain, créature cauchemardesque qui sert du divertissement sous cloche et de la joie formatée. Mieux vaut la vielle nanny d'antan (que j'ai trouvée légèrement flippante aussi, pour ma part), moi je vous le dis. Dans le passage de l'une à l'autre, la fillette effectue une odyssée technologique inquiétante, pleine de bruits électroniques, et d'inventions bizarroïdes qui tient à la fois du deuil (ce parcours ne serait-il pas un adieu ?) que de la satire. En tout cas, le film semble branché directement sur les hantises de l'enfance, vision désolée et kafkaienne d'une technologie qui dépasse l'homme et ses rêves. Un moment étrange, douloureux, qui parle de solitude, de frustrations, d'abandon et d'enfance brisée...

L'Archange Gabriel et Madame l'Oye (Archanděl Gabriel a paní Husa) - 1964
Un Trnka volontiers grivois se fait jour en 1964, avec cette adaptation d'un conte du Decaméron de Bocacce. Ça fait du bien, après un passage un peu grisou dans sa cinématographie, de retrouver notre compère troussant des jupons dans la Venise du 18ème siècle. Il s'agit en l'occurrence d'un récit assez moraliste, puisqu’un prêtre austère et cul-bénit se retrouve raide dingue d'une jeune femme affriolante. Pour l'approcher et parvenir à ses fins, il va se déguiser en archange Gabriel, ce qui, uniforme oblige, a l'heur de séduire sa belle. Mais les frères de ladite veillent, la populace demande de la moralité, et notre Tartuffe sera défait bel et bien. La trame est un peu confuse, à cause de ce choix d'absence de dialogues, mais la technique est superbe : une Venise sombre, secrète, peuplée d'individus louches semblant tout droit sortis d'une toile de Tiepolo, une atmosphère chargée de sexe et de violence, des sentiments torves exprimés par des mouvements magnifiques de fluidité et d'expressivité : le stupre fait marionnettes, tout simplement. On aime beaucoup ce ton décadent et inquiétant, avec lequel est racontée cette histoire de perdition qui garde son côté farcesque et ridicule. Au niveau formel, Trnka est à son sommet, le film est un délice pour les yeux. En abandonnant le film pour enfants, il a fait le bon choix.

La Main (Ruka) - 1965
Tout dernier film de Trnka, et il sort avec les honneurs : cette farce macabre autour de la montée des dictatures, de la liberté de l'artiste et du fatal endoctrinement de ces derniers par ces premiers, est une véritable ode à la poésie bafouée. Elle prend la forme d'un long cauchemar fait par un petit sculpteur pauvre dans sa mansarde. Il rêve qu'une grosse main s'introduit chez lui pour lui ordonner de fabriquer une statue à sa gloire, et qui n'aura de cesse d'obtenir ce qu'elle veut, même s'il faut pour cela en passer par la mort de l'artiste. On le voit, les inspirations enfantines sont loin, même si ce petit pantin a gardé une forme naïve comme un petit Pierrot. A la place, bonjour les ambiances glacées (ces décors gris, ce grain de pellicule terne, cette musique inquiétante), et bonjour le fond politique qui, en ces temps troublés, envoie du lourd. Trnka critique les despotes et leurs rêves de grandeur à travers une critique de la télévision, du culte de la personnalité, du manque de goût des dictateurs, et le fait avec une magnifique simplicité d’exécution, en les opposant avec la simplicité du sculpteur (sa petite fleur qui n'arrête pas d'être explosée dans tous les sens) et la tristesse de son destin. Sans paroles, juste en usant de symboles certes candides mais parlants, Trnka réalise un petit brulot politique et tire sa révérence en se dressant courageusement contre les pouvoirs délétères. Un petit film frondeur et triste, qui a d'ailleurs été interdit pendant 20 ans.

Courts-métrages de Jiří Trnka - 1945-1965

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